ilement que cette difference de gouts et de penchants qui
existait entre les deux soeurs influait beaucoup sur leur caractere et
sur leurs affections. Delphine ne faisait cas que des personnes dont
la parure et l'exterieur annoncaient un haut rang, une grande fortune;
Eugenie ne s'attachait qu'aux qualites du coeur, et ne jugeait des
individus que par l'expression de leur langage et tout ce qui annoncait
une ame pure, elevee. Elle avait moins de jeunes amies que sa soeur;
mais le peu qu'elle possedait lui offrait un juste retour des tendres
epanchements de son esprit et de son coeur.
Un jour, c'etait vers la mi-septembre, epoque de l'equinoxe, qui attire
assez souvent des pluies abondantes et produit des orages, Delphine et
Eugenie venaient de rentrer, avec leur mere, d'une longue promenade,
et n'avaient eu que le temps d'echapper a une ondee, lorsqu'elles
apercurent des croisees du salon deux etrangeres qui traversaient a pied
la grande cour, et se refugiaient sous une remise, pour s'y mettre a
l'abri de la pluie. L'une paraissait agee d'environ cinquante ans; elle
etait modestement vetue et portait sur la tete un chapeau de paille sans
autre ornement qu'un ruban entourant la forme et venant nouer sous
le menton. Une jeune personne de douze a treize ans, habillee plus
simplement encore, l'accompagnait. Sa petite robe de guingamp sans
garnitures etait serree autour de sa taille par un ruban noir; elle
avait pour coiffure une capote de taffetas dont la couleur paraissait un
peu alteree par le soleil; un foulard noue a son cou et des souliers de
peau noire: telle etait la toilette de la jeune inconnue.
L'orage devenant plus violent et la pluie continuant a tomber, madame
Dastrol, qui avait une ame trop elevee pour manquer en ce moment aux
devoirs de l'hospitalite, fit inviter ces deux dames a se rendre au
salon. Elles accepterent; et tandis que la maitresse de la maison
allait au-devant d'elle, ses deux filles etudiaient les etrangeres,
et principalement la jeune personne, qui paraissait etre de leur age.
Delphine, des le premier coup d'oeil, fut convaincue, a l'aspect de
la robe de guingamp et de la capote verte, que celle qui les portait
n'etait ni riche ni d'un rang distingue. Elle ne lui fit en consequence
qu'un accueil froid et reserve. Eugenie, au contraire, des les premieres
paroles que prononca la jeune etrangere, a son maintien, a son geste
gracieux, et surtout a la noble expression de sa figure, la jugea digne
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