role qu'il essaie), de
lui donner d'autres nuances. Celui de Moliere est un marquis, celui
de Mozart un demon, celui d'Hoffmann un ange dechu. Pourquoi ne le
pousserais-tu pas dans ce dernier sens? Remarque que ce n'est point une
pure reverie du poete allemand, cela est indique dans Moliere, qui a
concu ce marquis dans d'aussi grandes proportions que le _Misanthrope_
et _Tartufe_. Moi, je n'aime pas que _Don Juan_ ne soit que le
_dissoluto castigato_, comme on l'annonce, par respect pour les
moeurs, sur les affiches de spectacle de la _Fenice_. Fais-en un heros
corrompu, un grand coeur eteint par le vice, une flamme mourante qui
essaie en vain, par moments, de jeter une derniere lueur. Ne te gene
pas, mon enfant, nous sommes ici pour interpreter plutot que pour
traduire.
_Don Juan_ est un chef-d'oeuvre, ajouta Boccaferri en allumant un bon
cigare de la Havane (sa vielle pipe noire avait disparu), mais c'est
un chef-d'oeuvre en plusieurs versions. Mozart seul en a fait un
chef-d'oeuvre complet et sans tache; mais, si nous n'examinons que le
cote litteraire, nous verrons que Moliere n'a pas donne a son drame le
mouvement et la passion qu'on trouve dans le libretto de notre opera.
D'un autre cote, ce libretto est ecrit en style de libretto, c'est tout
dire, et le style de Moliere est admirable. Puis, l'opera ne souffre pas
les developpements de caractere, et le drame francais y excelle. Mais
il manquera toujours a l'oeuvre de Moliere la scene de dona Anna et le
meurtre du Commandeur, ce terrible episode oui ouvre si violemment et
si franchement l'opera; le bal ou Zerlina est arrachee des mains du
seducteur est aussi tres-dramatique; donc le drame manque un peu chez
Moliere. Il faudrait refondre entierement ces deux sujets l'un dans
l'autre; mais, pour cela, il faudrait retrancher et ajouter a Moliere.
Qui l'oserait et qui le pourrait? Nous seuls sommes assez fous et assez
hardis pour le tenter. Ce qui nous excuse, c'est que nous voulons
de l'action a tout prix et retrouver ici, a huis clos, les parties
importantes de l'opera que vous chanterez un jour en public. Et puis, de
douze acteurs, nous n'en avons que six! Il faut donc faire des tours de
force.
Essayons demain autre chose. Que M. Salentini fasse Ottavio, et que
ma fille cree cette facheuse Elvire, toujours furieuse et toujours
mystifiee, que nous avions fondue dans l'unique personnage d'Anna. Il
faut voir ce que Cecilia pourra faire de cette jalouse. Courage, m
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