le, qu'il ne sera pas force de viser
au coeur un ami digne de son estime quand meme. Le code de justice
militaire, en effet, mieux pondere que le decret du 2 octobre 1870, qui
avait institue les cours martiales, distingue entre les crimes contre
la discipline militaire: il en reconnait de honteux, pour lesquels la
degradation accompagne la mort, et d'autres qui entrainent seulement
la mort. Mais il est muet pour la designation des executeurs. Ce point
etait alors regle par le decret du 13 octobre 1863, ou il etait dit:
"Le commandant de place fait commander pour l'execution un adjudant
sous-officier, quatre sergents, quatre caporaux et quatre soldats, pris
a tour de role, en commencant par les plus anciens, dans le corps auquel
appartenait le condamne."
Dans l'amalgame que nous formions, personne, parmi les hommes de troupe,
n'etait fixe sur son anciennete relative. Il etait probable que, dans
une telle incertitude, le sort, le hasard, remplacerait la regle. Tous,
nous avions a craindre d'etre designes pour faire partie du fatal
peloton. Bruler ainsi sa premiere cartouche, quelle epreuve!
Mauvaise nuit que celle qui preceda l'execution. Pourtant nos
apprehensions furent vaines. Aucun grade, aucun homme de notre compagnie
ne fut requis. Seul le 2e bataillon avait ete charge de former le
peloton. Des l'aube, tout le regiment s'etait prepare a prendre les
armes, dans une sorte de recueillement. Il etait a peine aligne en avant
du front de bandiere, que l'alerte sonnerie de clairons des chasseurs
a pied se fit entendre venant de la ville: "As-tu vu la casquette, la
casquette?"
Le 10e bataillon de marche defilait devant nous, d'une vive allure.
Puis, le puissant roulement des tambours, sourd d'abord, plus distinct,
plus sonore d'instant en instant, sembla faire trembler le sol. C'etait
un aussi beau regiment que le notre, le 51e. Il venait de son campement,
sur l'autre rive de la Loire. Il passa devant nous, et, a la suite des
chasseurs, s'enfonca dans la foret, ou nous nous engageames a notre
tour. Allant en faire les frais, nous faisions aussi les honneurs de
cette premiere reunion de notre brigade.
A distance, le bois et les chemins se perdaient dans le brouillard; mais
ce voile, sans se dissiper, semblait reculer devant nous, dessinant, a
mesure que nous avancions, un cadre approprie a la ceremonie ou nous
etions conduits. Les arbres depouilles etendaient lamentablement
leurs branches, comme les bras d'un peuple
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