u clair de la
lune, en proie a des reves sans fin et sans suite, comme ceux qu'on fait
dans le sommeil. Et pourtant je ne dormais pas, car je marchais, et je
voyais sur les murs ou sur le pave mon ombre marcher et gesticuler a
cote de moi. Je ne comprends pas comment je ne fus pas une seule fois
ramasse par la garde.
Je rencontrai enfin un etudiant que j'avais vu quelquefois dans
l'atelier de mon jeune peintre. Il ne fut pas fier, quoique j'eusse
l'air d'un mendiant, et il m'accosta le premier. Je n'y mis pas de
discretion, je ne savais pas si j'etais bien ou mal mis. J'avais bien
autre chose dans la cervelle, et je marchai a cote de lui sur les quais,
lui parlant peinture; car c'etait mon idee fixe. Il parut s'interesser a
ce que je lui disais. Peut-etre aussi n'etait-il pas fache de se montrer
avec un des _bras-nus_ des glorieuses journees, et de faire croire par
la aux badauds qu'il s'etait battu. A cette epoque-la, les jeunes gens
de la bourgeoisie tiraient une grande vanite de pouvoir montrer un sabre
de gendarme qu'ils avaient achete a quelque _voyou_ apres la _fete_,
ou une egratignure qu'ils s'etaient faite en se mettant a la fenetre
precipitamment, pour regarder. Celui-la me parut un peu de la trempe des
vantards: il pretendait m'avoir vu et parle a telle et telle barricade,
ou je ne me souvenais nullement de l'avoir rencontre. Enfin, il me
proposa de dejeuner avec lui, et j'acceptai sans fierte; car il y avait
je ne sais combien de jours que je n'avais rien pris, et ma cervelle
commencait a demenager serieusement. Apres le dejeuner, il s'en allait
visiter le cabinet de M. Dusommerard, a l'ancien hotel de Cluny; il me
proposa de l'accompagner, et je le suivis machinalement.
La vue de toutes les merveilles d'art et de rarete entassees dans cette
collection me passionna tellement que j'oubliai tous mes chagrins en
un instant. Il y avait dans un coin plusieurs eleves en peinture qui
copiaient des emaux pour la collection gravee que fait faire a ses frais
M. Dusommerard. Je jetai les yeux sur leur travail; il me sembla que
j'en pourrais bien faire autant, et meme que je verrais plus juste que
quelques-uns d'entre eux. Dans ce moment, M. Dusommerard rentra, et fut
salue par mon introducteur l'etudiant, qui le connaissait un peu. Ils
se tinrent quelques minutes a distance de moi, et je vis bien a leurs
regards que j'etais l'objet de leur explication. Comme le dejeuner
m'avait rendu un peu de sang-froid, je commenc
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