le bras, ceci deplait a Eugenie; je ne fume jamais
que sur le balcon. Il prit la peine de demander pardon a Eugenie de sa
distraction; mais au fond il etait surpris de me voir traiter ainsi une
femme qui etait en train d'ourler mes cravates.
Mon balcon couronnait le dernier etage de la maison. Eugenie l'avait
ombrage de liserons et de pots de senteur, qu'elle avait semes dans deux
caisses d'oranger. Les orangers etaient fleuris, et quelques pots de
violettes et de reseda completaient les delices de mon _divan_. Je fis
a Horace les honneurs du morceau de vieille tenture qui me servait de
tapis d'Orient, et du coussin de cuir sur lequel j'appuyais mon coude
pour fumer ni plus ni moins voluptueusement qu'un pacha. La vitre de la
fenetre separait le divan de la chaise sur laquelle Eugenie travaillait
dans le cabinet. De cette facon, je la voyais j'etais avec elle, sans
l'incommoder de la fumee de mon tabac. Quand elle vit Horace sur le
tapis au lieu de moi, elle baissa doucement et sans affectation le
rideau de mousseline de la croisee entre elle et nous, feignant d'avoir
trop de soleil, mais effectivement par un sentiment de pudeur qu'Horace
comprit fort bien. Je m'etais assis sur une des caisses d'oranger,
derriere lui. Il y avait de la place bien juste pour deux personnes et
pour quatre ou cinq pots de fleurs sur cet etroit belvedere; mais nous
embrassions d'un coup d'oeil la plus belle partie du cours de la Seine,
toute la longueur du Louvre, jaune au soleil et tranchant sur le bleu du
ciel, tous les ponts et tous les quais jusqu'a l'Hotel-Dieu. En face de
nous, la Sainte-Chapelle dressait ses aiguilles d'un gris sombre et
son fronton aigu au-dessus des maisons de la Cite; la belle tour de
Saint-Jacques-la-Boucherie elevait un peu plus loin ses quatre lions
geants jusqu'au ciel, et la facade de Notre-Dame formait le tableau, a
droite, de sa masse elegante et solide. C'etait un beau coup d'oeil;
d'un cote, le vieux Paris, avec ses monuments venerables et son desordre
pittoresque; de l'autre, le Paris de la renaissance, se confondant avec
le Paris de l'Empire, l'oeuvre de Medicis, de Louis XIV et de Napoleon.
Chaque colonne, chaque porte etait une page de l'histoire de la royaute.
Nous venions de lire dans sa nouveaute _Notre-Dame de-Paris_; nous nous
abandonnions naivement, comme tout le monde alors, ou du moins comme
tous les jeunes gens, au charme de poesie repandu fraichement par cette
oeuvre romantique sur les ant
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