ondee, insultee, frappee,
Monsieur, helas! et la petite Suzanne aussi, qui voulait prendre le
parti de sa soeur, et qui criait pour ameuter le voisinage. Alors je
prends un jour ma soeur Louison par un bras, et ma petite soeur Suzanne de
l'autre, et nous voila partis tous les trois, a pied, sans un sou, sans
une chemise, et pleurant au soleil sur le grand chemin. Je vas trouver
ma tante Henriette, qui demeure a plus de dix lieues de notre ville, et
je lui dis d'abord:
"Ma tante, donnez-nous a manger et a boire, car nous mourons de faim et
de soif; nous n'avons pas seulement la force de parler. Et apres que ma
tante nous eut donne a diner, je lui dis:
--Je vous ai amene vos nieces: si vous ne voulez pas les garder, il
faut qu'elles aillent de porte en porte demander leur pain, ou qu'elles
retournent a la maison pour perir sous les coups. Mon pere avait cinq
enfants, et il ne lui en reste plus. Les garcons se tireront d'affaire
en travaillant; mais si vous n'avez pas pitie des filles, il leur
arrivera ce que je vous dis."
Alors ma tante repondit:--Je suis bien vieille, je suis bien pauvre;
mais plutot que d'abandonner mes nieces, j'irai mendier moi-meme.
D'ailleurs elles sont sages, elles sont courageuses, et nous
travaillerons toutes les trois. Cela dit et convenu, j'acceptai vingt
francs que la pauvre femme voulut absolument me donner, et je partis
sur mes jambes pour venir ici. Je fus tout de suite trouver mon second
frere, Jean, qui me fit donner de l'ouvrage dans la boutique ou il
travaillait comme cordonnier, et ensuite j'allai voir mon jeune peintre
pour lui demander des conseils. Il me recut tres-bien, et voulut
m'avancer de l'argent que je refusai. J'avais de quoi manger en
travaillant; mais cette diable de peinture qu'il m'avait mise en tete
n'en etait pas sortie, et je ne commencais jamais ma journee sans
soupirer en pensant combien j'aimerais mieux manier le crayon et le
pinceau que l'alene. J'avais fait quelques progres, car, malgre moi, a
mes heures de loisir, le dimanche, j'avais toujours barbouille quelques
figures ou copie quelques images dans un vieux livre qui me venait de
ma mere. Le jeune peintre m'encourageait, et je n'eus pas la force
de refuser les lecons qu'il voulut me donner gratis. Mais il fallait
subsister pendant ce temps-la, et avec quoi? Il connaissait un homme de
lettres qui me donna des manuscrits a copier. J'avais une belle main,
comme on dit, mais je ne savais pas l'orthographe. O
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