t Horace Dumontet!... Madame Dumontet ne reculait devant
aucun sacrifice; la digne femme eut vecu de pain noir et marche sans
souliers pour etre utile a son fils et agreable a son mari; mais elle
s'affligeait de depenser tout d'un coup les economies qu'elle avait
faites depuis son mariage, et qui s'elevaient a une dizaine de
mille francs. Pour qui ne connait pas la petite vie de province, et
l'incroyable habilete des meres de famille a rogner et grappiller sur
tontes choses, la possibilite d'economiser plusieurs centaines d'ecus
par an sur trois mille francs de rente, sans faire mourir de faim mari,
enfants, servantes et chats, paraitra fabuleuse. Mais ceux qui menent
cette vie ou qui la voient de pres savent bien que rien n'est plus
frequent. La femme sans talent, sans fonctions et sans fortune, n'a
d'autre facon d'exister et d'aider l'existence des siens, qu'en exercant
l'etrange industrie de se voler elle-meme en retranchant chaque jour,
a la consommation de sa famille, un peu du necessaire: cela fait une
triste vie, sans charite, sans gaiete, sans variete et sans hospitalite.
Mais qu'importe aux riches, qui trouvent la fortune publique
tres-equitablement repartie! "Si ces gens-la veulent elever leurs
enfants comme les notres, disent-ils en parlant des petits bourgeois,
qu'ils se privent! et s'ils ne veulent pas se priver, qu'ils en fassent
des artisans et des manoeuvres!" Les riches ont bien raison de parler
ainsi au point de vue du droit social; au point de vue du droit humain,
que Dieu soit juge!
"Et pourquoi, repondent les pauvres gens du fond de leurs tristes
demeures, pourquoi nos enfants ne marcheraient-ils pas de pair avec ceux
du gros industriel et du noble seigneur? L'education nivelle les hommes,
et Dieu nous commande de travailler a ce nivellement."
Vous aussi, vous avez bien raison, eternellement raison, braves parents,
au point de vue general; et malgre les rudes et frequentes defaites de
vos esperances, il est certain que longtemps encore nous marcherons vers
l'egalite par cette voie de votre ambition legitime et de votre vanite
naive. Mais quand ce nivellement des droits et des esperances sera
accompli, quand tout homme trouvera dans la societe le milieu ou son
existence sera non-seulement possible, mais utile et feconde, il faut
bien esperer que chacun consultera ses forces et se jugera, dans le
calme de la liberte, avec plus de raison et de modestie qu'on ne le
fait, a cette heure, dans la fievre
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