, je le dis avec assurance, je me sens de la race des
heros!"
Je ne pus reprimer un sourire; mais Horace, qui m'observait, vit que ce
sourire n'avait rien de malveillant.
"Vous etes surpris, me dit-il, que je m'abandonne ainsi devant vous, que
je connais a peine, a des sentiments qu'ordinairement on ne laisse
pas percer, meme devant son meilleur ami? Croyez-vous qu'on soit plus
modeste pour cela?
--Non, certes, et l'on est moins sincere.
--Eh bien, donc, sachez que je me trouve meilleur et moins ridicule que
tous ces hypocrites qui, se croyant _in petto_ des demi-dieux, baissent
sournoisement la tete et affectent une pruderie pretendue de bon gout.
Ceux-la sont des egoistes, des ambitieux dans le sens haissable du
mot et de la chose. Loin de laisser etaler cet enthousiasme qui est
sympathique et autour duquel viennent se grouper toutes les idees
fortes, toutes les ames genereuses (et par quel autre moyen s'operent
les grandes revolutions?), ils caressent en secret leur etroite
superiorite, et, de peur qu'on ne s'en effraie, ils la derobent aux
regards jaloux, pour s'en servir adroitement le jour ou leur fortune
sera faite. Je vous dis que ces hommes-la ne sont bons qu'a gagner de
l'argent et a occuper des places sous un gouvernement corrompu; mais
les hommes qui renversent les pouvoirs iniques, ceux qui agitent les
passions genereuses, ceux qui remuent serieusement et noblement le
monde, les Mirabeau, les Danton, les Pitt, allez voir s'ils s'amusent
aux gentillesses de la modestie!"
Il y avait du vrai dans ce qu'il disait, et il le disait avec tant de
conviction qu'il ne me vint pas dans l'idee de le contredire, quoique
j'eusse des lors par education, peut-etre autant que par nature,
l'outrecuidance en horreur. Mais Horace avait cela de particulier, qu'en
le voyant et en l'ecoutant, on etait sous le charme de sa parole et
de son geste. Quand on le quittait, on s'etonnait de ne pas lui avoir
demontre son erreur; mais quand on le retrouvait, on subissait de
nouveau le magnetisme de son paradoxe.
Je me separai de lui ce jour-la, tres-frappe de son originalite, et
me demandant si c'etait un fou ou un grand homme. Je penchais pour la
derniere opinion.
"Puisque vous aimez tant les revolutions, lui dis-je le lendemain, vous
avez du vous battre, l'an dernier, aux journees de Juillet?
--Helas! j'etais en vacances, me repondit-il; mais la aussi, dans ma
petite province, j'ai agi, et si je n'ai pas couru de dange
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