de douleur arrache a un pauvre enfant qui ne
comprend rien au mal que vous lui faites. C'est un metier de boucher, si
ce n'est pas une mission d'apotre.
--On dit que le coeur se desseche a ce metier-la, reprit Horace; ne
craignez-vous pas de vous passionner pour la science au point d'oublier
l'humanite, comme ont fait tous ces grands anatomistes que l'on vante,
et dont je detourne les yeux comme si je rencontrais le bourreau?
--J'espere, repondis-je, arriver juste au degre de sang-froid necessaire
pour etre utile, sans perdre le sentiment de la pitie et de la sympathie
humaine. Pour arriver au calme indispensable, j'ai encore du chemin a
faire, et je ne crois pas, d'ailleurs, que le coeur s'endurcisse.
--C'est possible, mais enfin, les sens s'enervent, l'imagination se
detend, le sentiment du beau et du laid se perd; on ne voit plus de
la vie qu'un certain cote materiel ou tout l'ideal arrive a l'idee
d'utilite. Avez-vous jamais connu un medecin poete?
--Je pourrais vous demander egalement si vous connaissez beaucoup de
deputes poetes? Il ne me semble pas que la carriere politique, telle
que je l'envisage de nos jours, soit propre a conserver la fraicheur de
l'imagination et le fragile coloris de la poesie.
--Si la societe etait reformee, s'ecria Horace, cette carriere pourrait
etre le plus beau developpement pour la vigueur du cerveau et la
sensibilite du coeur; mais il est certain que la route tracee
aujourd'hui est dessechante. Quand je songe que pour etre apte a juger
des verites sociales, ou la philosophie devrait etre l'unique lumiere,
il faut que je connaisse le Code et le Digeste; que je m'assimile
Pothier, Ducaurroy et Rogron; que je travaille, en un mot, a m'abrutir,
et que, afin de me mettre en contact avec les hommes de mon temps, je
descende a leur niveau... oh! alors je songe serieusement a me retirer
de la politique.
--Mais, dans ce cas, que feriez-vous de cet enthousiasme qui vous
devore, de cette grandeur d'ame qui deborde en vous? Et quel aliment
donneriez-vous a cette volonte de fer dont vous me faisiez un reproche
de douter, il y a peu de jours?"
Il prit sa tete entre ses deux mains, appuya ses coudes sur la barre qui
separe le parterre de l'orchestre, et resta plonge dans ses reflexions
jusqu'au lever de la toile; puis il ecouta le troisieme acte d'_Antony_
avec une attention et une emotion tres-grandes.
"Et les passions! s'ecria-t-il lorsque l'acte fut fini. Pour combien
comptez-v
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