es de rendre
heureuse l'heure qui vient chercher un refuge dans notre ame. Il est sage
celui qui a toujours quelque chose de paisible a lui dire sur le seuil. Il
faut accumuler en soi les causes de bonheur les plus simples. C'est
pourquoi, ne negligeons aucune occasion d'etre heureux. Tachons d'eprouver
d'abord le bonheur selon les hommes, pour lui preferer ensuite, en
connaissance de cause, le bonheur selon nous-memes. Il en est de ceci comme
de l'amour. Il faut avoir aime profondement pour savoir de quelle maniere
il faudrait qu'on aimat alors qu'on n'aime plus. Il est bon d'etre heureux
par moments d'une maniere visible, pour apprendre a etre heureux d'une
maniere invisible; et peut-etre n'est-il necessaire de preter l'oreille aux
heures qui parlent haut dans leur ivresse, que pour apprendre peu a peu le
langage de celles qui ne parlent jamais qu'a voix basse. Elles seules sont
nombreuses, inepuisables, incapables de trahir ou de fuir a cause de leur
nombre, et le sage ne devrait compter que sur elles. Etre heureux, c'est
s'exercer a voir le sourire cache et les ornements mysterieux des heures
incalculables et anonymes, et ces ornements ne se trouvent qu'en nous.
XCI
Mais rien ne serait plus oppose a la sagesse dont nous parlons ici qu'une
prudence basse, et mieux vaudrait encore s'agiter inutilement autour d'un
bonheur quelconque, que d'attendre en dormant au coin du feu un bonheur
ideal qui ne viendra jamais. Sur le toit de celui qui ne sort pas de sa
maison, ne descendent d'habitude que les joies dont personne n'a voulu.
Aussi, n'appelons-nous pas sage celui qui, dans le domaine des sentiments,
par exemple, ne va pas infiniment au dela de ce que la raison lui permet,
ou de ce que l'experience lui conseille d'attendre. Aussi, n'appelons-nous
pas sage l'ami qui ne se livre point a son ami parce qu'il prevoit la fin
de l'amitie, ou l'amant qui ne se donne pas tout entier, de peur de
s'aneantir dans l'amour.
Il faut se dire qu'ici, vingt aventures malheureuses n'enlevent que les
parties perissables de notre energie du bonheur, et l'on peut s'avouer que
toute sagesse n'est, en somme, qu'une sorte d'energie purifiee du bonheur.
Etre sage, c'est avant tout apprendre a etre heureux, pour apprendre en
meme temps a attacher une importance de moins en moins grande a ce que le
bonheur est en soi. Il importe que l'homme soit, aussi longtemps que
possible, aussi heureux que possible; car ceux qui sortent enfin
d'eu
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