entend se distinguer des nominalistes,
et se defendre contre eux. C'est une preuve de plus que ceux de son
siecle allaient jusqu'a contester, non pas seulement la realite
essentielle, mais le fondement reel des genres et des especes, et qu'en
outre, dans cette question ardue et difficile, la face des idees est
tellement changeante que les memes arguments peuvent quelquefois etre
appeles presque dans les memes termes au secours des theses les plus
opposees. Apres avoir discute toutes les objections prises de la
definition de l'espece, Abelard s'en fait une nouvelle, a laquelle il
attache beaucoup de gravite; c'est l'objection prise des elements, qu'il
avait lui-meme dirigee contre les systemes des autres. Voici comme on
peut l'exposer d'apres lui.
Pour constituer une chose quelconque, la matiere et la forme suffisent.
L'individu se compose de l'espece au dernier degre de specification
et de la forme qui lui est propre; l'espece se compose du genre pour
matiere et de la difference pour forme. D'ou procedent les elements
physiques des substances corporelles? On ne voit pour eux nulle place
dans l'echelle de l'etre. Car la corporeite, elle, n'est qu'une forme,
et la matiere sans forme se subtilise et se sublime a ce point qu'elle
n'est plus en quelque sorte que la matiere mathematique, que l'axe
des substances, ou un je ne sais quoi ideal qui ne peut qu'en se
_formalisant_ devenir la matiere consistante ou l'agregat des elements.
Or, ces elements eux-memes semblent aussi la matiere de tous les corps;
ils leur sont anterieurs, et Aristote a dit que l'eau et le feu dont
l'animal se compose precedent l'animal. Il faut donc admettre que les
elements des corps ne sont pas anterieurs aux corps, puisqu'ils
ne peuvent devenir la forme de la matiere qu'en meme temps que la
corporeite le devient aussi. En d'autres termes, les elements ne sont
pas les elements du corps, puisqu'ils naissent en meme temps que le
corps.
Cette difficulte embarrasse visiblement l'esprit hardi et subtil
d'Abelard. Au fond, c'est, sous une forme particuliere, la difficulte
connue de conserver la realite solide de la matiere dans l'alambic
puissant de l'analyse ideologique. Mais notre philosophe semble plutot
inquiet de tout concilier avec la doctrine des elements d'Aristote
qu'avec les convictions de l'experience et du sens commun. _Dura est
haec provincia_, dit-il. Il ne lui semble pas que ses maitres aient
donne une explication raisonnable. Pour lui, i
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