et de cette doctrine comme de presque toutes les
opinions de son auteur; elle a disparu avec lui. Il y a peu de
philosophes, dont le nom ait ete plus celebre et les doctrines plus
oubliees. Le temps n'a respecte que sa gloire. Soit que l'envie, le
despotisme ou la peur aient detruit ou laisse se perdre ses livres, soit
que ceux qui ont profite de ses idees aient pris soin d'en dissimuler
l'origine, cet homme, qui eut tant de disciples, n'a pas laisse
d'ecole, et quoiqu'on ne puisse douter qu'il n'ait exerce une influence
predominante sur l'enseignement, sur les etudes, sur la destinee de la
philosophie, il n'a point fonde de philosophie. D'innombrables sectes
ont aussitot apres lui couvert le sol gaulois, et l'on n'a plus parle
de lui que comme on parle d'un brillant meteore qui eblouit et qui
s'eteint. Il y a de l'injustice dans cet oubli, et lorsqu'au XIIIe
siecle on voit la querelle des universaux se perpetuer, mais aussi
s'eclaircir et s'etendre, on peut aisement retrouver plus d'une idee,
plus d'un raisonnement qui vient d'Abelard, ou que ses successeurs ont
laborieusement decouvert apres lui au lieu de le lui emprunter. On sait
que les realistes et les nominaux se ravirent alternativement le credit
et l'influence, et que la puissance des uns et des autres, celle des
premiere surtout, prit souvent les formes de la tyrannie. On tient en
general qu'Albert le Grand et saint Thomas d'Acquin furent realistes, et
leurs partisans venaient s'allier a Jean Duns Scot lui-meme, lorsqu'il
fallait combattre les nominaux. Peut-etre que ceux-ci auraient succombe,
si Occam n'eut glorieusement releve leur drapeau, et, donnant au systeme
l'ordre et la clarte, n'eut decidement retabli leur influence, reconnue
enfin et assuree par la protection du pouvoir politique. Les maitres de
l'ecole de Paris, Jean Gerson et Pierre d'Ailly, furent nominaux[126].
[Note 126: Albert. Magn., _De Intellect. et intelligib._, t. I, c.
II.--_Metaph. comment._ IV.--M. Rousselot prouve assez bien qu'Albert
etait moins realiste que conceptualiste a la maniere d'Abelard. (_Etudes
sur la philos. du moyen age_, t. II, c. XIV, p. 210 et suiv.) Il est
moins heureux, lorsqu'il essaie la meme demonstration a l'endroit de
Saint Thomas. (_Ibid._, p. 256 et 205.) Saint Thomas, sur la question
des idees, incline au platonisme: (_Summ. theol._, para I, quest. V, LV,
et LXXXV.) Le realisme de Scot ne peut etre nie. (Rousselot, t. III, c.
XVIII, p. 13 et suiv.--Meiners,
|