.
24.]
Ce systeme exige que les formes aient si peu de rapport avec la matiere
qui leur sert de sujet, que des qu'elles disparaissent, la matiere ne
differe plus d'une autre matiere sous aucun rapport, et que tous les
sujets individuels se reduisent a l'unite et a l'identite. Une grave
heresie est au bout de cette doctrine; car avec elle, la substance
divine, qui est reconnue pour n'admettre aucune forme, est
necessairement identique a toute substance quelconque ou a la substance
en general, Or, cette consequence est fausse. Les philosophes tiennent
que la substance divine n'est passible d'aucun accident, et comme,
suivant les definitions admises, la substance en general est sujette
a tous les accidents, il faut bien que la substance divine differe de
toute substance; et cependant il faut aussi qu'elle soit substance. La
nature de Dieu a ete enseignee au monde le jour ou le Seigneur a dit a
la Samaritaine: "Dieu est esprit." (Jean, IV, 24.) Et tout esprit est
substance[101].
[Note 101: _Onmis spiritus substantia est._]
Et non-seulement la substance de Dieu, mais la substance du Phenix, qui
est unique, n'est dans ce systeme que la substance pure et simple, sans
accident, sans propriete, qui, partout la meme, est ainsi la substance
universelle. C'est la meme substance qui est raisonnable et sans raison,
absolument comme la meme substance est a la fois blanche et assise; car
_etre blanc_ et _etre assis_ ne sont que des formes opposees, comme la
rationnalite et son contraire, et puisque les deux premieres formes
peuvent notoirement se trouver dans le meme sujet, pourquoi les deux
secondes ne s'y trouveraient-elles pas egalement?
Est-ce parce que la rationnalite et l'irrationnalite sont contraires?
Elles ne le sont point par l'essence, car elles sont toutes deux de
l'essence de qualite; elles ne le sont point par les adjacents (_per
adjacentia_), car elles sont, par la supposition, adjacentes a un sujet
identique. Du moment que la meme substance convient a toutes les formes,
la contradiction peut se realiser dans un seul et meme etre, et alors
comment dire qu'une substance est simple, une autre composee, puisqu'il
ne peut y avoir quelque chose de plus dans une substance que dans une
autre? Comment dire qu'une ame sente, qu'elle eprouve la joie ou la
douleur, sans le dire en meme temps de toutes les ames, qui sont une
seule et meme substance? On voit qu'Abelard a parfaitement developpe
le reproche que Bayle adresse a
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