au nominalisme, l'autre au
realisme[118]. Le dernier, qui dedaigne les nominaux, en separe Abelard,
et lui reconnait cependant une doctrine qui se distingue malaisement
de la leur. Pour son propre compte, il s'indigne qu'on reduise a les
universaux a des noms ou a des pensees, et il les considere, d'apres
Aristote, dit-il, comme des fictions de la raison, comme des ombres de
la realite, se declarant en cette matiere, non pour la doctrine la plus
vraie, mais pour la plus logique[119]. Geoffroi de Saint-Victor, qui
montre le dernier mepris pour les nominaux, attaque le realisme dans
Gilbert de la Porree, qu'il place au meme rang qu'Abelard, et traite
d'insenses les disciples d'Alberic, le plus ardent adversaire du
nominalisme. Pierre Lombard, qui passe pour l'eleve d'Abelard, _ce chef
des nominaux_, est appele _le prince des realistes_. Amaury de Chartres,
condamne au concile de Paris pour avoir renouvele les erreurs d'Abelard,
avait soutenu des idees empreintes du realisme particulier de Scot
Erigene, et Brucker les rattache au platonisme, tandis que Buddee les
derive d'Aristote. Ce meme Brucker, d'accord avec Jean de Salisbury,
traite de realiste Joslen de Soissons, que Dom Clement soupconne de
nominalisme, et lorsque plus tard Guillaume Occam argumentait contre le
realisme, il semblait quelquefois refuter Abelard. Il ne faut donc pas
s'etonner qu'il y ait quelque variation, quelque obscurite dans
le jugement que l'histoire de la philosophie porte de la doctrine
definitive du maitre d'Heloise. Un grand nombre, avec Othon de
Frisingen, l'assimilent a la doctrine de Roscelin. D'autres y voient le
conceptualisme, que Brucker regarde comme une deviation de l'hypothese
d'Abelard. Ce conceptualisme est pour M. Cousin un nominalisme
inconsequent; c'est presqu'un realisme pour M. Rousselot qui, ainsi
que Buhle, croit Abelard plus pres de Guillaume de Champeaux que de
Roscelin. Caramuel, outrant la meme idee, l'avait accuse d'avoir
ressuscite le pantheisme[120]. Ainsi Abelard, au gre des critiques et
des interpretes, aurait parcouru tons les degres de toutes les doctrines
sur la question fondamentale de la scolastique; et peut-etre ces
jugements si divers ont-ils tous quelque verite.
[Note 115: _Dialect._, p. 351.--_Theolog. Christ._, p. 1317 et
1320.--_Glossulae sup. Porph._, ci-dessus, p. 104.--Voy. aussi le chap.
III, t. 1, p. 305.]
[Note 116: _De Gen. et Spec._, p. 538, et ci-dess., c. v, t. ii, p. 431,
et la fin du c.
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