lui, et il n'est pas l'humanite.
Ici Abelard entre dans une discussion d'une subtilite vraiment
etonnante, et dont nous regrettons de n'oser mettre la traduction sous
les yeux du lecteur; on l'y verrait se mouvoir avec une agilite et un
aplomb rares a travers les mille detours de la langue et de la theorie
dialectiques, et l'on comprendrait la surprise que devait causer aux
esprits roides et durs encore de cette epoque cette flexibilite d'une
raison qui se deplie et se replie avec une egale facilite. Mais nous
n'avons que trop eprouve la patience du lecteur. Remarquons seulement
que la conclusion generale, apres tant de difficultes adroitement
denouees, c'est que l'espece est une essence analogue ou identique de
nature, mais numeriquement diverse comme matiere, et substantiellement
diverse comme forme, dans chaque individu; en sorte qu'elle partage
toute la realite des individus, et n'en a aucune en dehors d'eux. De la
une derniere objection.
Cette essence d'homme, qui est en moi, est quelque chose ou rien. Si
quelque chose, elle est substance ou accident. Si substance, substance
premiere ou seconde. Si premiere, elle est individu; si seconde, elle
est genre ou espece.
La reponse est qu'aucun nom direct ou metaphorique n'a ete donne a cette
sorte d'essence. Les auteurs n'ont nomme que les natures; or, on a
vu que cette essence n'est pas une nature; elle n'est pas une chose
existante, une substance; le fut-elle, ce ne serait pas une substance
a laquelle fut applicable la distinction des substances premieres ou
secondes; car cette distinction ne convient qu'aux natures. "Si nous
l'admettions ici, nous serions conduits dans un defile ou il faudrait
que cette essence fut l'individu, ou les genres et les especes. Nous ne
sommes pas les seuls a recuser dans certains cas la distinction de la
substance premiere ou seconde. D'autres disent bien qu'_homme blanc_ est
une substance, et n'est pourtant ni substance premiere, ni substance
seconde.[72]"
[Note 72: _De Gen. et Spec._, p. 634.]
Cette derniere objection n'est pas la moins importante, et c'est en la
discutant qu'Abelard s'approche le plus de la negation des especes.
En effet, voici son raisonnement. Ce qu'il y a d'humain en moi, cette
humanite qui est en moi, n'a point de nom, parce que ce n'est point une
nature. Et ce n'est point une nature, car ce ne peut etre une substance
premiere ni une substance seconde. En effet, cette essence d'humanite ne
saurait etre su
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