ame ou le soupcon
est entre; la vie entre ces deux etres n'est plus qu'un long orage.
Comment nait la jalousie, comment elle jette son poison secret dans les
rapides joies de ce bonheur, etonne d'abord de lui-meme, comment elle le
corrompt sans le detruire, produisant les courtes folies, les angoisses
delirantes, les fureurs qui eclatent ou celles qui tuent par de longs
silences, comment les ruines morales s'accumulent sous les coups d'un
insense, jusqu'au denouement fatal, vulgaire et poignant, voila ce que
raconte ce livre avec une logique de deductions, une surete de traits,
une profondeur d'analyse qui trahissent la vie observee de pres et
profondement sentie. La jalousie incurable du passe, voila la maladie
du prince Karoll. Les details et la gradation du mal sont marques avec
une precision presque scientifique. Il a aime cette femme, sachant tout,
et, malgre tout, il l'a aimee quand elle n'etait plus ni tres jeune ni
tres belle, en depit d'un caractere qui etait precisement l'oppose du
sien, et n'ayant pu prendre jamais son parti de ces moeurs imprudentes,
de ces devouements effrenes, de cette faiblesse d'un coeur jointe a
cette hardiesse d'un esprit qui semblaient une violente protestation
contre tous les principes et les sentiments sur lesquels il a vecu
jusque-la. Il n'a jamais pu pardonner a cette femme d'etre si differente
de lui-meme. Il la poursuivra de sa folie croissante et devenue a la fin
presque furieuse jusqu'au jour ou Lucrezia tombe, sans avoir, une seule
heure, inspire de confiance a son etrange amant, sans avoir conquis son
estime, sans avoir cesse d'etre aimee de lui comme une maitresse, jamais
comme une amie.--Que ceux qui refusent a George Sand la faculte
d'analyse relisent ce roman et qu'ils disent s'il n'y a pas la une
admirable et profonde etude de passion, si chaque page n'est pas ecrite
avec une observation ou un souvenir?
Ce qui a donne le change sur l'absence pretendue de la faculte
d'observation chez George Sand, c'est qu'il arrive un moment, meme dans
ses plus belles fictions, ou le romanesque s'introduit a forte dose dans
le roman, l'absorbe tout entier et efface tout le reste. Le romanesque,
c'est l'exaltation dans la chimere: il marque l'age d'une generation et
la date d'un livre; il se reconnait a la maniere d'aimer (surtout a la
facon de dire que l'on aime), a la maniere de concevoir et d'imaginer
les evenements, a la maniere plus ou moins agitee et surexcitee
d'ecrire. Un maitre
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