bonte, une compassion infinie, une tendresse profonde pour la misere
humaine. Il etait impossible de s'approcher d'elle, meme avec les
preventions les plus contraires, sans etre desarme par cette grace
rayonnante du sentiment. Rarement elle se fachait, soit contre les
hommes, soit contre les choses, meme quand elle en souffrait le plus
cruellement. Elle se retirait avec tristesse, mais sans colere, des
contacts ou des situations les plus injurieux pour sa dignite. Et quand
elle regardait autour d'elle, c'etait avec un regard de tendre et
profonde sympathie. Apres bien des essais differents de morale
applicable a sa vie, elle avait fini par se faire a elle-meme une morale
qui tenait dans cette regle unique: Etre bon. Chacun se fait une morale
selon son coeur. Le jour ou elle s'etait elevee a cette conception
claire du but et de l'emploi de la vie, les grandes emotions qui avaient
souleve la sienne jusque dans son fond s'etaient pacifiees. Une lumiere
superieure avait penetre a travers le trouble et le tumulte de son coeur
qui, jusqu'alors, n'avait eu que des instincts facilement egares. Cette
idee, qui resume en effet la morale sociale, avait pris chez elle une
importance et une sorte de royaute intellectuelle: _le devoir de sortir
de soi_. Elle avait fini par comprendre, a force de douloureuses
experiences, ce qu'il y a d'egoisme implacable dans la passion. Elle
avait fini par concevoir que la vraie vie, c'est de penser non toujours
a soi et pour soi, mais aux autres et pour les autres, et aussi a tout
ce qui est grand, noble et beau, a tout ce qui peut nous distraire de ce
moi, toujours pret a se prendre pour l'objet de sa monotone analyse et
de sa lugubre idolatrie.
C'est par ce grand cote de sa nature, la sensibilite toute prete et la
bonte absolue, qu'elle avait ete si facilement prise par les theses
sociales emergees du cerveau de chaque reformateur en disponibilite. Ces
theses elles-memes, qu'etait-ce, sinon des formes variees de l'utopie
qui l'avait seduite des son enfance et dont le premier mobile avait ete
le sentiment profond du mal humain, du mal social; utopie qui pouvait se
croire innocente et sainte tant qu'elle n'avait pas essaye de regner en
dehors des imaginations et des coeurs, et qu'elle n'avait pas encore
tente la force comme dernier moyen d'apostolat?
"Il n'y a en moi, disait-elle un jour, rien de fort que le besoin
d'aimer." C'est par ce besoin d'aimer qu'elle parvint a maintenir en
elle, au-d
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