de la critique, M. Brunetiere, a marque fortement
ces traits: "... Cette facon forcenee d'aimer fut celle de toute la
generation romantique. Tout le monde n'aime pas de la meme maniere, et
chacun a la sienne; mais les romantiques ont aime comme personne avant
eux n'avait fait, ni depuis.... Certes, _Indiana_, _Valentine_, _Lelia_
meme et _Jacques_ sont de curieuses etudes de l'amour romantique. George
Sand, selon son instinct, n'a pris, dans la realite, qu'un point de
depart ou d'appui, qu'elle quitte aussitot pour revenir au reve
interieur de son imagination.... Il y a dans ces romans une partie
romanesque et sentimentale qui a etrangement vieilli[9]."
Prenons, des les debuts, deux des oeuvres les plus celebres, _Valentine_
et _Mauprat_, et voyons comment ce jugement se verifie, et aussi comment
le pronostic se realise. Dans chacune d'elles il y a une matiere riche,
neuve, variee, d'invention naturelle, et aussi semblable au vrai qu'il
est possible, melee bientot a des exagerations de caracteres ou de
details qui etonnent ou revoltent l'imagination la plus docile et la
plus credule. Que la ravissante Edmee aime son cousin Bernard, qu'elle
l'ait aime des sa rencontre avec lui dans la societe epouvantable des
Mauprat, qu'elle ait tacitement choisi ce rustre, ce sauvage qui sait a
peine signer son nom, qu'elle ait pris a tache de le civiliser pour le
rendre digne d'elle, qu'elle ait reussi enfin, a force de devouement
actif et silencieux, a en faire un vaillant homme, un honnete homme, en
l'elevant jusqu'au niveau de son coeur, tout cela, c'est le roman meme,
et quel beau, quel noble roman!
Mais a travers ce courant divers ou melange de deux existences, separees
a l'origine par des abimes et que le plus sincere amour a rapprochees
dans la vie, l'element invraisemblable se glisse, grandit, intercepte
l'interet, contrarie a chaque instant les belles et saines emotions du
roman, les empeche de germer a l'aise. C'est la perpetuelle apparition
du pere Patience a tous les carrefours du pays et a chaque page du
roman; c'est l'inevitable intervention de cet homme qui a tout appris
dans la vie des champs, qui sait tout du present et de l'avenir, de ce
grand justicier, de ce magistrat improvise qui impose silence aux
puissances de la province, de ce paysan qui joue, a chaque occasion, le
role de Mirabeau, conduisant par sa parole les evenements, nouant et
denouant l'action? N'est-ce pas le faux et l'invraisemblable en
personne?
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