ans les
rangs de nos armees victorieuses. Quel coup de torchon! mes aieux! je
crois que les Prussiens paieront cher leurs menees hypocrites et leur
folie sanglante. La population, ici, est admirable de calme et de froide
resolution, et c'est un etat d'esprit general. C'est la guerre au
couteau qu'ils auront voulue, je suis persuade qu'on les servira en
consequence. J'ai vu aujourd'hui dans la foule plusieurs faits touchants
de patriotisme se produire: un ouvrier arrachant, sur la place des
Invalides, une carte d'Etat-Major a un monsieur qu'il supposait etre un
Allemand, et me l'apportant; un camelot vendait ses journaux, mais les
donnait a l'oeil aux officiers et aux soldats, parce qu'il allait partir
lui-meme pour la frontiere; ce ne sont pas des faits isoles; une nation
comme la France, animee de ces sentiments, est mure pour le succes.
Mes aspirants, en meme temps que moi, ont rejoint leurs regiments, ils
exultaient tous. Charles doit etre a son poste. Ou? je l'ignore, mais
quel beau debut de carriere pour un officier.
Et maintenant courage, mon cher Jules, mes cheres soeurs. Nous allons
traverser la periode la plus dure que le monde ait vecue, soyons a la
hauteur de notre tache.
Je vous embrasse bien tendrement.
Votre frere,
J. JEANNIN.
_Lettre ecrite, sur l'Yser, par l'Aspirant Henri JOYEUX, blesse
mortellement, un an plus tard, a la prise de Monastir._
18 Juin 1915.
Mon cher papa, ma chere maman,
Depuis quelques jours, je vous ecris regulierement. Je n'ai pas recu de
vos nouvelles. Je pense neanmoins que ma lettre vous trouvera toujours
en bonne sante et toujours bien courageux, comme vous l'avez ete
jusqu'ici. Allons! soyez-le encore plus aujourd'hui. C'est la volonte de
votre petit Doudou, de votre grand Henri.
Si cette lettre vous parvient, voyez-vous, c'est que la France m'aura
voulu tout entier. J'aurai fait mon devoir, comme les autres, pas plus.
J'en suis fier, et vous devez l'etre aussi de savoir que votre enfant
est mort vaillamment, qu'il a vu la mort avec gaite et delivrance, l'ame
completement tranquille. Pourquoi en avoir peur? Vous rappelez-vous de
ce soir-la ou j'ai parle avec papa sur la mort, sur sa douceur que je
reclame. Ne me delivre-t-elle pas d'une vie que je n'ai pu qu'entrevoir
et a laquelle je n'ai pu gouter, si j'ose dire, sous un jour apre et
terrifiant. Ou sont les douces annees de ma toute petite enfance,
lorsque j'allais me consoler dans les bras d'une aus
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