si bonne maman, d'un
aussi bon papa que j'avais. Ici, je suis seul, pour me consoler de ne
pouvoir vous embrasser, de ne pouvoir vous serrer dans mes bras, je
suis encore seul. Si ce n'etait ca, rien ne m'aurait coute d'aller voir
la-haut le beau resultat de la grande bataille. Aussi, en vous ecrivant
cette lettre, ce dernier adieu, je viens vous remercier de la tendre, de
la douce affection que vous m'avez toujours temoignee. Pardon aussi de
l'avoir connu trop tard, pardon d'avoir oublie mes devoirs d'enfant,
pardon de tout ce que vous ne savez pas. Enfant je l'etais et c'est la
guerre, la dure campagne qui m'a muri, vieilli, qui a fait de moi un
homme a 20 ans.
Allons, courage! refoulez vos larmes et ne vous abandonnez pas dans un
chagrin qui pourrait abreger les quelques jours de tranquillite, de paix
que vous trouverez aupres de mon petit frere quand il reviendra, lui;
montrez-lui cette lettre qui devra lui faire comprendre que si je meurs
tranquille, c'est que je pense bien a sa presence. Il saura adoucir par
tous les moyens les jours heureux qui vous restent a passer ensemble.
Promettez-moi aussi de vivre heureux jusqu'au moment ou le bon Dieu
jugera que vous veniez me retrouver.
Peut etre qu'un jour vous viendrez rechercher mes restes dans cette
Belgique, la vraie, pas celle dont le sol a ete foule par d'impies
barbares. Mon seul bonheur est de penser que vous viendrez me rechercher
et qu'un jour je reposerai pres de vous, a Marcey, que j'aurais tant
souhaite revoir.
Faites mes adieux aux personnes amies, a tous ceux qui ne m'ont pas
encore oublie.
Quant a vous, adieu, au revoir, mon bon papa, ma bonne maman. Je vous ai
aimes, vous m'avez tout pardonne. Je vous embrasse pour la derniere fois
bien bien fort.
Votre petit Henri mort pour la France.
Courage!
_Lettre ecrite par Albert JULHIEN, 6e Bataillon de Chasseurs Alpins,
tombe au bois de Berthonval le 20 Decembre 1914._
19 Decembre 1914.
Mes cheres tantes,
Si vous recevez cette lettre, mes cheres tantes, c'est que, suivant
mon pressentiment, l'attaque qui se prepare m'a ete fatale. Si je vous
confie la triste mission d'en avertir mes chers papa et maman, c'est
que je sais que, dans la religion, vous saurez trouver les paroles de
consolation qui leur seront si necessaires en ces tristes moments et
que votre grande affection vous dictera les precautions a prendre pour
attenuer la douleur que leur causera certainement cette nouvelle.
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