st que je serai alle retrouver papa et mon cher petit frere.
Cette idee de mort ne m'epouvante pas le moins du monde. Si je tombe,
ce sera pour la France, en faisant mon devoir, comme autant d'hommes le
font en ce moment.
Il n'y a que toi qui m'inquiete, et je me dis: "Que deviendr [illisible]
a pauvre maman?" Si je viens a mourir, voila ce que tu feras. D'abord,
tu auras et conserveras beaucoup de calme, tu garderas ton sang-froid
et tu ne t'en iras pas par les rues en criant ton desespoir; ta douleur
sera calme et digne.
Puis tu iras a Luche-Thouarsais, sur la tombe de papa, et tu lui diras
que ses deux fils sont morts en faisant leur devoir et que son gendre en
a fait autant.
Mon pere sera content de savoir que son grand Rodolphe et son petit
Emile sont tombes au champ d'honneur.
Tu lui diras aussi que Rodolphe est tombe avec l'epaulette, face a
l'ennemi et en tete de ses hommes. Il sera heureux, notre pauvre pere,
et toi aussi, chere maman, tu auras la satisfaction d'avoir donne le
jour a des gens de bien, quoique certains en aient doute.
Tu retourneras a ton travail a la gare de Chef-Boutonne, et tu
continueras jusqu'au jour ou tu jugeras etre assez fatiguee et avoir
assez travaille pour te reposer.
Tu retourneras dans ton pays, en Alsace redevenue francaise, et tu
te diras si tu es a Thann ou a Strasbourg, c'est que tes fils auront
contribue a rendre a la France nos cheres provinces.
Que cette pensee te soit douce au coeur. Elle sera une consolation dans
ta vieillesse. Je te veux et te desire toujours bon courage et de la
confiance. Le sacrifice bien accepte, la joie dans la resignation font
les forts. Tu chasseras bien loin de toi toute colere contre qui que
ce soit; tu ne seras point jalouse des meres qui auront conserve leurs
enfants. S'il t'arrive parfois de pousser des soupirs en voyant les
camarades de mon frere ou les miens, songe que tes fils ne souffrent
plus et que leur mort glorieuse vaut bien la miserable existence de ceux
qui restent.
C'est bien promis, n'est-ce pas? si je ne reviens pas, tu diras que les
dernieres pensees de ton grand fils ont ete vers toi et vers ma soeur
Blanche et que du paradis des braves je vous protegerai toutes les deux.
Bons baisers, donc, et du courage et de la force de coeur, dans la vie
comme dans la mort.
Rudolphe WURTZ.
End of the Project Gutenberg EBook of La derniere lettre ecrite par des
soldats francais tombes au champ d'honneur 191
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