ra pas, car que les Boches nous attaquent ou que nous
le fassions, quand toutes les nations civilisees seront debout contre
ce chef bandit du militarisme prussien, ils seront battus, c'est
indiscutable. Ah! ce cri que le Juif Errant de la legende entendait
retentir au-dessus de sa tete, chaque fois que, ruisselant de sueur,
brise de lassitude, il tentait de s'arreter: "Marche". C'est a
l'humanite tout entiere que sa conscience crie aujourd'hui: "Marche a
travers les obstacles, parmi les perils, malgre la mort, marche ... sans
repos, sans treve, jusqu'au bout, jusqu'au bout, jusqu'a la victoire,
jusqu'au sommet baigne de lumiere d'ou--le passe n'etant plus sous tes
pieds qu'une ombre en train de s'effacer--tu verras se lever, dans un
eblouissement, l'aube de l'avenir".
Comment vous l'expliquer, ce serait un livre a faire, mais tous ceux qui
sont la au front le comprennent et le sentent bien. Vous verrez que pour
Carnaval nous aurons presque fini. Vous serez chez vous, et j'espere
bien manger un poulet avec vous. C'est entendu.
Allons, secouez-moi un peu tous ces gens-la qui se font un mauvais sang
et qui voient tout sous un mauvais jour. Mais nous, qui sommes ici, nous
sommes toujours contents. On s'encourage soi-meme, on se dit ce que je
vous raconte, on a le pouvoir de se persuader doucement, et c'est ce qui
fait notre patience et notre calme.
Comprenez-vous notre secret?
Pour ce que je vous disais l'autre jour, c'est accepte. Je sais que je
ne ferai pas cela comme qui s'amuse, ca m'est egal. Mais si je reussis,
je sais bien qu'ainsi des camarades seront sauves, et peut-etre aussi de
cela dependra un heureux succes pour nos armes. Quand dois-je rentrer en
action? Je l'ignore, mais enfin cela arrivera.
Je souhaite fort de reussir et, si je suis tue, je desire ne l'etre
qu'apres avoir termine mon travail.
Enfin, soyez tranquille, nous ferons tout notre possible pour obtenir
le succes et nous reussirons. C'est egal, ce sera terrible, mais nous
allons assister a quelque chose de beau.
Je vais terminer ma lettre, cher Monsieur Lasson, apres vous avoir
souhaite bon courage et en esperant vous voir bientot.
Allons, adieu, bonne sante.
Vive la France!
EMILE.
_Lettre ecrite par l'Aspirant LAGORCE, Augustin-Pierre-Edouard, 89e
Regiment d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, le 25 Septembre 1916, a
Bouchavesnes (Somme)._
24 Septembre 1916, 6 heures.
Depart ce soir. Tres probablement pour apres
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