pere, je te dis ceci tout naturellement, sans forfanterie, tu sais
que nous subissons de grandes epreuves. Eh bien, tout ceci, vois-tu, pas
une fois je n'ai regrette de le subir et au contraire je suis gai de
souffrir, si quelquefois cela arrive, en pensant a la noble cause que
nous servons. C'est dans ces sentiments que je puise mon inalterable
gaiete, que tu nommes courage. Oui, je veux etre toujours gai, faire
tous les sacrifices necessaires avec bonne humeur, et si je reviens, car
j'en ai le bon espoir, je pourrai dire: "Je n'ai jamais rien regrette a
la Patrie!"
Les gateaux d'Amelie sont excellents. Bons baisers a tous, j'ecrirai
demain a chacun en particulier. Soyez tous assures de ma plus grande
soif de triomphe et de mon impatience de vous embrasser tous bien fort.
En attendant ce jour qui couronnera tous nos efforts et auquel il ne
faut pas encore penser, patience, courage; on ne detruit pas en quelques
jours un monstre de sauvagerie, patiemment edifie depuis quarante-quatre
ans, mais, avec la tenacite, il finira par s'ecrouler et, ce jour-la,
l'horizon d'ideal et de liberte en sera bien eclairci.
Ayez comme nous confiance en la justice et l'immortalite de la France.
Ces jours-ci sont pour elle une de ses epoques les plus glorieuses.
Vive la France!
ANDRE.
_Lettre ecrite par Jean-Marie LE GUEN, pour annoncer a sa mere la mort
de son frere, quelques jours avant que lui-meme ne soit tue._
En campagne, le 7 Octobre 1915.
Ma chere Mere,
Vous savez sans doute maintenant la triste nouvelle, puisque j'avais
ecrit a Tonton Louis pour lui demander d'aller vous annoncer cette
nouvelle, qui a du vous fendre le coeur a tous. J'ai trouve qu'il valait
mieux ainsi que de vous ecrire directement, vous auriez ainsi du moins
quelqu'un pour partager votre douleur, et la douleur partagee en commun
se supporte plus facilement. Mon pauvre frere a ete tue dimanche 3
Octobre. La veille, j'avais eu de ses nouvelles par un camarade qui lui
avait parle et il etait toujours solide et confiant.
Dimanche au soir, on est venu m'avertir qu'il avait ete blesse
grievement. Je suis parti aussitot pour aller le voir, mais en route
on m'a appris qu'il avait ete tue sur le coup. C'est Marc GORREC, de
Coat-Crenn, qui se trouvait a ses cotes, qui m'a donne les details de sa
mort. Un autre camarade et lui s'etaient creuse un gourbi pour pouvoir
se mettre a l'abri et se reposer un peu, et il y avait a peine une
demi-heure q
|