ls. Ce sera meme une tendance
commune a tous les grands psychologues au theatre de reduire l'intrigue
a rien. Racine glisse, d'un penchant naturel, a _Berenice_; et quand il
a trouve ce chef-d'oeuvre de la suppression de l'intrigue, et qu'on
lui reproche de n'avoir pas d'invention, il repond: "Precisement! J'ai
l'invention par excellence. L'invention _consiste a creer quelque chose
de rien_."
A la verite, dans un grand drame, une situation et l'evolution naturelle
des sentiments qu'elle a mis en presence ne suffit pas. Les sentiments,
d'eux-memes, ont un mouvement trop lent, et restent trop longtemps
pareils a ce qu'ils sont d'abord pour qu'il ne soit pas necessaire
que quelques circonstances habilement menagees les renouvellent, les
pressent, et les fassent comme tourner pour presenter leurs divers
aspects. Pour que nous ne voyions point Phedre toujours pleurer et
mourir, il faut que Thesee soit cru mort, puis que Thesee revienne, puis
que les amours d'Aricie soient connus de Phedre, et c'est la l'intrigue,
que, nonobstant ses dedains, Racine est passe maitre a disposer. D'un
psychologue pur psychologue, comme Marivaux, on peut donc dire et qu'il
n'a pas besoin d'intrigue et que l'intrigue est sa borne. Autrement dit,
il sera a l'aise dans les ouvrages de courte etendue ou l'intrigue lui
est inutile, et il ne pourra aborder les oeuvres de longue haleine ou le
secours de l'intrigue lui serait indispensable.
C'est ce qui est arrive a Marivaux. Ses chefs-d'oeuvre sont de petites
pieces qui sont des drames en raccourci. Du drame ils ont l'essence,
qui est la vie morale, ils ont le mouvement et la distribution aisee du
mouvement. Ils n'ont pas l'ampleur et la variete, parce qu'ils n'ont
pas l'invention des incidents, des incidents chose vile en soi, simples
machines, mais machines qui servent, l'evolution d'un sentiment etant
accomplie, a en faire paraitre un autre, lequel, a son tour, fait son
chemin, marque son trait, et complete la peinture du caractere.
De la le seul defaut serieux des petits drames de Marivaux: ils ont une
certaine uniformite, et ils sont un peu prevus. Ils ne nous trompent
point; nous savons un peu trop ou ils vont. Rien n'est sot, dans le
theatre aussi bien que dans le roman, comme l'inattendu qui n'est qu'un
caprice de l'auteur; mais l'inattendu naturel, l'inattendu dont on
se dit apres coup qu'on s'y devait attendre, savoir donner cet
inattendu-la, c'est connaitre le fond des choses; et savoir
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