is une "opinion particuliere
du juge". Croit-il donc qu'un jury sera assez philosophe pour juger
sur texte sans passions et sans prejuge? Ne voit-il pas que c'est
precisement avec le jury que les jugements seront toujours des opinions
particulieres, et que c'est avec lui, fatalement, qu'on sera toujours
juge "en equite"? Qu'on prefere cette maniere de juger, je le veux bien;
mais que ce soit l'homme qui n'en veut point qui recommande des juges
incapables d'en avoir une autre, cela m'etonne.
Il y a certainement un peu de chimerique dans Montesquieu, un peu de
l'homme qui n'est pas moraliste tres informe ni tres sur. Je serais
tente de dire que ses admirables qualites d'esprit et de caractere
lui sont source d'erreur, en ce qu'a les voir en lui, il se persuade
qu'elles sont communes. Il est souverainement intelligent et
merveilleusement a l'abri des passions: il est un peu porte a en
conclure que les hommes sont assez intelligents et peu passionnes. Cher
grand homme, c'est faire trop petite la distance qui vous separe de
nous. L'erreur est bien naturelle a l'homme; puisque posseder la verite
intellectuelle et la verite morale, cela mene encore a une illusion, qui
est de croire que la verite est commune. Faudrait-il aux hommes parfaits
un peu d'orgueil et de mepris, c'est-a-dire un defaut, pour etre tout a
fait dans le vrai? Peut-etre bien.
J'ai dit que Montesquieu est trop optimiste en ce qu'il croit trop aux
hommes, ce aussi en ce qu'il croit trop en lui. J'entends par ceci qu'il
croit peut-etre trop a l'efficace de son systeme, quand il en est a
faire un systeme. Encore une fois, avec lui, il faut bien prendre ses
precautions, et retirer a moitie sa critique au moment qu'on l'aventure.
Je sais qu'il a un fond ou plutot un coin de scepticisme, et qu'il dit
tout d'abord que le meilleur gouvernement est celui qui convient le
mieux a tel peuple. Et cependant il est si bon theoricien qu'il lui est
difficile de ne pas avoir confiance dans l'excellence de sa theorie, de
ne pas croire, au moins a demi, qu'elle peut suffire et se suffire, et
qu'un Etat bien organise par lui serait, par cela seul, un tres bon
Etat. Il lui echappera de dire que dans "une nation libre il est tres
souvent indifferent que les citoyens raisonnent bien ou mal; il suffit
qu'ils raisonnent: _de la sort la liberte qui garantit des effets de ces
memes raisonnements_"--De la sort la liberte, ou plutot c'est la
liberte meme, d'accord; mais "qui garantit d
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