les
accroissements et les decadences, les conquetes, les soumissions, par
d'enormes et eternelles causes naturelles pesant sur les hommes et les
poussant sur la surface de la terre comme les gouttes d'eau d'une grande
maree; et cela, dans un autre genre, et comme en contre-partie, sera
aussi beau, si le genie s'en mele, que ce "_Discours_" immortel ou nous
voyions naguere empires et peuples menes d'en haut, par une invisible
main, a travers des revolutions qu'ils ne comprennent pas, vers une fin
mysterieuse.
[Note 29: Lettre CXVII.]
--Eh bien, non! Montesquieu ne sera pas un pur fataliste. Rappelez-vous
l'adorateur de l'antiquite, l'homme qui admire chez le Romain deux
forces personnelles, individuelles, supposant et prouvant la liberte
humaine, haute raison et pure vertu, puissances parlant d'elles-memes,
ressorts sans appui, causes en soi, qui faconnent et dressent un peuple,
soumettent et organisent un monde. Voila un autre homme, qui s'appelle
encore Montesquieu, un rationaliste, un philosophe qui croit que la
raison humaine est la reine de cette terre, qu'un grand dessein est une
cause, qu'une grande intelligence a des effets dans l'histoire, qu'une
loi bien faite peut faire une epoque.--N'en doutez point, il le croit.
C'est peut-etre meme ce qu'il croit le plus. Les societes, qui lui
apparaissaient tout a l'heure comme les combinaisons de forces
naturelles et aveugles, se presentent a ses yeux maintenant comme des
systemes d'idees. Des principes deviennent feconds: "L'amour de
la liberte, la haine des rois conserva longtemps la Grece dans
l'independance et etendit au loin le gouvernement republicain[30]." Une
loi n'est pas un fait qui se repete, c'est une idee juste. L'idee est
au-dessus des faits. Elle est, malgre eux et par elle-meme. "La justice
est eternelle et ne depend point des conventions humaines." Elle oblige
les hommes de par soi, et ils doivent se defendre de croire qu'elle
resulte de leurs contrats. Si elle en dependait, ce serait une verite
terrible qu'il faudrait se derober a soi-meme." Elle oblige Dieu. "S'il
y a un Dieu, il faut _necessairement_ qu'il soit juste... il _n'est pas
possible_ que Dieu fasse jamais rien d'injuste. Des qu'on suppose qu'il
voit la justice il tant _necessairement_ qu'il la suive..."
[Note 30: _Persanes_, CXXXI.]
Voila comme un nouveau fatalisme, un fatalisme rationnel qui s'impose a
la pensee de Montesquieu et qu'il impose a la notre. "Libres que nous
serions du
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