pris que
les hommes de son temps affectent pour tout ce qui est antique,
christianisme et civilisation ancienne, Montesquieu ne prend pour lui
que la moitie. Il n'est pas tout entier un homme a la mode.
Entendons-nous bien cependant. Ce qu'aime Montesquieu dans l'antiquite,
ce n'est pas precisement ce que l'antiquite a de plus grand; ce n'est
pas l'art antique. A-t-il lu Homere? Je n'en sais rien. Le sentirait-il?
Je le crois; mais je ne reponds de rien. Ce qui "l'enchante", ce n'est
pas ce que l'antiquite a d'enchanteur, c'est ce qu'elle a d'imposant.
Il aime le grand, lui, homme de 1720, contemporain de Le Sage et de
Massillon, marque singuliere d'une forte originalite, qui le sauvera. Il
aime l'histoire grecque et surtout l'histoire romaine. Il aime Tite-Live
et Tacite. Le developpement d'un grand peuple, fort par ses vertus,
sa patience et son courage, les grands consuls, les durs tribuns, les
censeurs rigides, et ce Senat, qui, vu d'un peu loin, semble un seul
homme, une seule pensee traversant les ages, toute pleine d'une force
inebranlable et d'un dessein eternel, voila ce qui le ravit. Il a le
sens et le gout de l'eternite. Un grand monument fonde sur une grande
force, l'empire romain etabli sur la vertu romaine, le Capitole eclatant
rive a son rocher inderacinable, cela plait a ce meridional, a ce
gallo-romain, a ce juriste, ne en terre latine, au pays des Ausone et
des Girondins.
Il y a une antiquite d'une certaine espece, non point fausse, melee
seulement d'un peu de convention, et vraie d'une verite dramatique et
oratoire, une antiquite faite de la naivete de Plutarque, de la noblesse
de Tite-Live, et des regrets de Tacite, et des coleres de Juvenal, et
des grands airs des Stoiciens, qui met dans l'esprit des lettres un
ideal excellent et precieux de vertu austere, de simplicite hautaine, de
frugalite un peu fastueuse, d'energie et de constance infatigable; qui,
par l'image repetee qu'elle place sous nos yeux du desinteressement en
vue d'une fin superieure, tend a devenir une maniere de religion. Les
Francais ont ete tres sensibles a cet ascendant. Bossuet, si bien
defendu par une autre religion, a senti celle-la, assez pour la
comprendre. Montesquieu en est tres penetre, en un temps ou on l'a
completement mise en oubli. Est-il arriere, est-il precurseur? Il est,
en cela, l'un et l'autre. Ce culte fait partie de notre patrimoine
classique. Il est parmi nos _sacra_. Notre XVIe siecle l'a mis en
honneur, n
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