humaine. En
plusieurs endroits de l'_Esprit_ et de la _Defense de l'Esprit des
Lois_, on le voit tres preoccupe de combattre Hobbes et la theorie du
"_Bellum omnium contra omnes_". L'homme naturel, "sorti des mains de la
nature", comme on dira plus tard, n'est point pour lui un loup en guerre
contre d'autres loups pour un quartier de mouton; c'est un etre timide
et doux, et c'est l'etat de societe qui a cree la guerre. Il y a dans
Montesquieu un commencement de Jean-Jacques Rousseau, ce qui tient, du
reste, a ce que toutes les grandes idees modernes ont leur commencement
dans Montesquieu.
Encore n'est-ce point tant de n'avoir point fait assez grande la part
de ferocite dans l'homme que je reprocherai a Montesquieu, etant tres
enclin a penser comme lui sur cette affaire. Je lui reprocherai plutot
de n'avoir pas fait assez grande la part de demence. L'homme n'est point
un fauve; mais c'est un etre tres incoherent, en qui rien n'est plus
rare que l'equilibre des forces mentales, et en un mot la raison.
Montesquieu croit un peu trop que l'homme est capable de se gouverner
raisonnablement, et que, parce qu'un systeme politique raisonnable, par
exemple, peut etre connu par un homme, il peut et doit etre pratique par
les hommes. Il y a beaucoup a parier que c'est une noble erreur. Avec un
esprit comme celui de Montesquieu il ne faut point se hasarder, et vous
pouvez etre sur qu'il connait votre objection mieux que vous. Je sais
tres bien que ce gouvernement raisonnable qu'il construit et qu'il
enseigne, il le tient lui-meme pour une "reussite" extraordinaire, pour
un merveilleux accident dans l'histoire humaine, qui est l'histoire du
despotisme. Encore est-il qu'il semble trop croire, comme a des realites
et non pas seulement comme a des theories, a la vertu des democraties,
a la moderation des aristocraties, surtout a la capacite politique des
foules. Il _a affirme_ tres energiquement que le peuple ne se trompe
point dans le choix de ses representants, et il en donne comme exemple
Athenes et Rome, ce qui est bien un peu etrange. Pour Athenes, cela
ne peut pas se soutenir, et figurez-vous Rome sans le Senat. J'ai
parfaitement peur de ne pas comprendre et de faire une critique qui
ne prouve que ma sottise; mais enfin je le vois reclamer le jury avec
insistance (xi, 6, alineas 13, 14, 15, 18) et vouloir en meme temps
(alinea 17) que le verdict ne soit que l'application stricte et comme
aveugle d'un texte precis, sans etre jama
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