ton plaisant au ton
grave. Il pourra ne plus traiter legerement le christianisme, il pourra
le considerer comme une force sociale, et non plus comme un objet de
railleries; mais il n'en aura jamais la pleine intelligence, et moins
encore le sentiment.
Il est de son temps encore par l'inintelligence du grand art. Il meprise
les poetes, epiques, lyriques, elegiaques, pele-mele, surtout les
lyriques[27], ne faisant grace qu'aux poetes dramatiques, ces "maitres
des passions" parce que nos poetes dramatiques sont surtout des
moralistes et des orateurs.--Les quatre plus grands poetes sont pour
lui Platon, Malebranche, Montaigne et Shaftesbury, opinion ou il y a du
vrai, et beaucoup d'inattendu. Il faut entendre sans doute que les
plus grands poetes, a ses yeux, sont les philosophes, les createurs
et evocateurs d'idees. Mais il n'a que des mepris pour "l'harmonieuse
extravagance" des lyriques, pour "ces especes de poetes" qu'on appelle
les romanciers "qui outrent le langage de l'esprit et celui du coeur",
pour tous ces hommes dont "le metier est de mettre des entraves au bon
sens, et d'accabler la raison sous les agrements". On sent la l'homme de
raison froide qui n'aura de passion que pour les idees. Quoi qu'il en
soit de Montaigne et de Shaftesbury, et meme de Racine, ce maitre des
idees n'a pas aime les "maitres des passions"; cet homme qui a vu si peu
de sentiments dans le monde n'a pas aime ceux qui en vivent et qui les
peignent.
[Note 27: _Persanes_, lettre CXXXVII.]
Il y a une preuve indirecte, et comme a rebours, de ce peu de gout de
Montesquieu pour les choses d'art. Le paradoxe de Rousseau sur les
effets funestes des arts et des lettres parmi les hommes, il l'a fait
d'avance, et, d'avance aussi, refute; et c'est sa refutation meme qui
montre qu'il ne les aime point d'une vraie tendresse[28]. Elle est d'un
economiste, et non pas d'un artiste. A quoi bon ces decouvertes, demande
_Rhedi_, dont les suites salutaires ont toujours leur compensation, et
au dela, dans des malheurs, inconnus avant elles, qu'elles versent sur
l'humanite?--_Usbeck_ va-t-il repondre par les arguments de Goethe:
Qu'importe? plus de verite, plus de lumiere, plus d'horizon, plus
d'espace; epuisons toute la faculte humaine, pour remplir toute l'idee
de l'homme?--Non, mais par les arguments du _Mondain_ et par "_l'homme a
quatre pattes_" de Voltaire: Les arts engendrent le luxe, qui alimente
le travail des hommes. La toilette d'une mondaine oc
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