|
non, injuste, et qui, pour un
peu plus, va devenir insupportable. Il est tres aime. Rien de mieux vu;
les hommes de ce genre ont tres souvent beaucoup de succes, des succes
serieux et durables. C'est que d'abord l'esprit de contradiction est un
de ces elements de l'amour que Marivaux a si bien demeles; on met son
amour-propre, et Dieu sait a quel degre d'entetement va
l'amour-propre chez une femme, a apprivoiser un ours; c'est une belle
victoire,--Ensuite c'est que notre boudeur est rebarbatif par timidite,
et que la femme qui l'aime s'en est apercu; mais il fallait plus que la
finesse feminine, il fallait de la bonte pour s'en apercevoir.
Tel est le fond de la comedie dans Marivaux. C'est quelque chose de tout
nouveau, d'inattendu, de parfaitement original, et de tres profond sous
les apparences d'un jeu de societe. Marivaux, en mettant l'analyse de
l'amour dans la comedie, a conquis a la comedie des terres nouvelles.
Il a trace des chemins. Ce sont petits chemins, je le sais bien, "il
connait tous les sentiers du coeur et il en ignore la grande route";
Voltaire a raison; mais on pouvait repondre: "La ou personne n'est alle,
il n'y a pas meme de sentiers."
La maniere dont il dispose ses legeres fictions dramatiques est
bien interessante a suivre de pres. Il n'y a chez lui aucun art de
"composition", j'entends de composition factice, il n'y a pas l'ombre de
"metier". Cela tient d'abord a ce qu'il n'en a point, et ensuite a ce
qu'il n'en a pas besoin. Son petit drame n'est pas compose de faits
materiels qu'il faudrait distribuer en un certain ordre pour en faire
une suite enchainee et logique aboutissant a une conclusion contenue
dans les premisses: il est compose de faits moraux se succedant
d'eux-memes, sans la moindre circonstance exterieure qui les suscite ou
les pousse.--En pareil cas l'art de la composition se confond avec l'art
meme de lire dans les coeurs, et le drame n'a pas d'autre marche que le
progres meme des sentiments. L'intrigue n'est point necessaire la ou le
mouvement dramatique est intime en quelque sorte et vient de l'evolution
meme des mouvements du coeur. L'intrigue est la part d'invention
proprement dite que l'auteur apporte dans le drame. A qui voit
parfaitement la succession des sentiments dans les ames, inventer n'est
point necessaire; voir suffit. Celui-ci restreindra tout naturellement
son invention a trouver une _situation_, et, la situation trouvee,
laissera ses personnages aller tout seu
|