temps, un homme du notre, un
homme des temps a venir, un conservateur, un aristocrate, un democrate,
un philosophe naturaliste, un philosophe rationaliste, autre chose
encore; et tout cela non point confus et fumeux, comme chez d'autres,
admirablement clair et lumineux au contraire, mais a l'etat d'etoiles
brillantes, point coordonne par quelque chose qui ramasse, ou, seulement
qui nous guide. C'est un monde immense et brillant ou manque une loi de
gravitation.
Il faudrait, pour l'exposer sous forme de systeme, avoir plus de genie
qu'il n'en a eu, ce qui est peut-etre difficile; ou plutot faire entrer
ces diverses conceptions dans un systeme plus etroit que chacune
d'elles, ce qui serait le trahir.--Peut-etre ce qu'il y a de mieux a
faire est de le decrire par parties, patiemment et fidelement, quitte
ensuite a indiquer, a nos risques, non point la pensee qui nous semblera
envelopper toutes ses pensees--il n'y en a point d'assez vaste, et s'il
y en avait une, il l'aurait eue,--mais les tendances plus accusees parmi
ses tendances; les idees qui, chez un homme qui les a eues toutes, ont
au moins pour elles qu'elles lui sont plus cheres; la doctrine, qui,
sans etre plus, a le bien prendre, qu'une de ses doctrines, semble du
moins celle ou il prefererait vivre si elle devenait une realite.
I
MONTESQUIEU JEUNE
Je vois d'abord dans Montesquieu l'homme de son temps, d'un temps tres
spirituel, tres curieux; tres intelligent, tres frivole, et qui semble,
dans tous les sens de ce mot, ne tenir a rien. Ce monde n'a plus
d'assiette. C'est pour cela qu'il est si amusant. Il semble danser.
Il ne s'appuie a quoi que ce soit. Il a perdu ses bases, qui etaient
religion, morale, et patriotisme sous forme de devouement a une
royaute patriote; qui etaient encore, a un moindre degre, enthousiasme
litteraire, amour du beau, conscience d'artistes. Il a perdu une
certitude, et il ne s'en est point fait encore une nouvelle, pas meme
celle qui consiste a croire que, s'il n'y en a pas encore, il y eu aura
une un jour, certitude sous forme d'esperance qui sera celle du XVIIIe
siecle, et au dela.--En attendant, ou plutot sans rien attendre, il
s'amuse de lui-meme, se decrit dans de jolis romans satiriques, dans
des comedies sans profondeur et sans portee, et s'occupe, sans s'en
inquieter, de sciences, ou plutot de curiosites scientifiques. Avec
cela, frondeur, parce qu'il est frivole, et tres irrespectueux des
autres, comme de lui-meme
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