ees des autres, il est dans la hierarchie intellectuelle,
mais au plus bas degre; et quand elle va jusqu'a lui permettre de
comprendre des idees et des systemes differents et contraires qui
n'ont pas meme ete encore inventes, il est precisement au sommet de
l'intelligence humaine. Un genie si puissant qu'il est inventeur, et
si varie et penetrant dans divers sens qu'il est critique, voila
Montesquieu; un livre de critique divinatrice, voila l'_Esprit des
lois_.
C'est ainsi qu'il le faut prendre pour en saisir toute la portee. Cet
homme se place au centre de l'histoire, puis, successivement, envisage
toutes les facons dont les hommes ont organise leur association, et de
chaque institution il voit la vertu, le vice, le germe vital et le germe
mortel, et dans quelles conditions elle peut devenir grande, ou languir,
ou durer sans accroissement, ou s'elancer pour tomber vite, ou se
transformer en son contraire meme. Il est tour a tour: monarchiste, pour
savoir que la monarchie se soutient par le sentiment de l'_honneur_
dans une classe privilegiee qui entoure le prince et qu'elle tombe par
l'avilissement de cette classe;--aristocrate, pour comprendre qu'une
aristocratie subsiste par la _moderation_, c'est-a-dire par la prudence
et la sagesse d'un ordre de l'Etat, et se transforme en ploutocratie
et de la en despotisme, des que l'esprit de moderation
l'abandonne;--democrate, pour sentir que tout un peuple devant, dans ce
cas, avoir la sagesse d'un bon prince ou d'un excellent senat, il faut
un prodige (qui s'est vu du reste), la _vertu_ meme, pour gagner une
pareille gageure;--despotiste meme (et pourquoi non?) pour nous peindre
le bonheur d'un peuple qui a su rencontrer (cela s'est vu aussi) un
despotisme intelligent[35]; mais pour nous montrer aussi combien un
pareil etat est instable et comme monstrueux, effet d'un heureux hasard
qui ne se renouvelle point.
[Note 35: _Arsace et Ismenie histoire orientale_.]
Et encore il se fera chretien, lui qui, de nature, l'est si peu, pour
nous faire voir non seulement l'esprit du christianisme, mais jusqu'a
ses transformations et son evolution historique. Qu'un lecteur
superficiel ouvre ce livre a telle page, il y verra que le christianisme
est antisocial (XXIII, 22): "Le christianisme a favorise le celibat,
diminue la puissance paternelle, detache les citoyens de la patrie
terrestre au profit d'une autre." Que le meme lecteur regarde le livre
suivant, il verra (XXIX, 6) que le c
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