court moment de
solitude dans lequel cette retraite l'avait laisse avait permis a
Monseigneur de prendre une figure diplomatique. Il ne se retourna
pas, et attendit que le maitre d'hotel eut amene en face de lui le
messager.
Raoul s'arreta a la hauteur du bas-bout de la table, de facon a se
trouver entre Monsieur et Madame. Il fit de cette place un salut
tres profond pour Monsieur, un autre tres humble pour Madame, puis
se redressa et attendit que Monsieur lui adressat la parole.
Le prince, de son cote, attendait que les portes fussent
hermetiquement fermees, il ne voulait pas se retourner pour s'en
assurer, ce qui n'eut pas ete digne; mais il ecoutait de toutes
ses oreilles le bruit de la serrure, qui lui promettait au moins
une apparence de secret. La porte fermee, Monsieur leva les yeux
sur le vicomte de Bragelonne et lui dit:
-- Il parait que vous arrivez de Paris, monsieur?
-- A l'instant, monseigneur.
-- Comment se porte le roi?
-- Sa Majeste est en parfaite sante, monseigneur.
-- Et ma belle-soeur?
-- Sa Majeste la reine mere souffre toujours de la poitrine.
Toutefois, depuis un mois, il y a du mieux.
-- Que me disait-on, que vous veniez de la part de M. le prince?
On se trompait assurement.
-- Non, monseigneur. M. le prince m'a charge de remettre a Votre
Altesse Royale une lettre que voici, et j'en attends la reponse.
Raoul avait ete un peu emu de ce froid et meticuleux accueil; sa
voix etait tombee insensiblement au diapason de la voix basse. Le
prince oublia qu'il etait cause de ce mystere, et la peur le
reprit.
Il recut avec un coup d'oeil hagard la lettre du prince de Conde,
la decacheta comme il eut decachete un paquet suspect, et, pour la
lire sans que personne put en remarquer l'effet produit sur sa
physionomie, il se retourna.
Madame suivait avec une anxiete presque egale a celle du prince
chacune des manoeuvres de son auguste epoux. Raoul, impassible, et
un peu degage par l'attention de ses hotes, regardait de sa place
et par la fenetre ouverte devant lui les jardins et les statues
qui les peuplaient.
-- Ah! mais, s'ecria tout a coup Monsieur avec un sourire
rayonnant, voila une agreable surprise et une charmante lettre de
M. le prince! Tenez, madame.
La table etait trop large pour que le bras du prince joignit la
main de la princesse; Raoul s'empressa d'etre leur intermediaire;
il le fit avec une bonne grace qui charma la princesse et valut un
remerciement flatteur
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