ie, tantot avec effroi, qu'il n'y avait
pas la d'amour vrai, c'est-a-dire pas de foi, pas d'enthousiasme pour
cette incomparablement belle creature.
Le trouble que j'avais ressenti etait donc tout simplement dans mes
sens, et pouvais-je me croire _engage_, pour un baiser involontaire,
pour un mot que mes levres avaient prononce, que mes oreilles n'avaient
pas entendu, que mon esprit ne pouvait meme pas ressaisir?
--Il y aurait la, pensais-je, une question d'honneur vis-a-vis de lord
B*** et de sa femme, qui m'ont temoigne la confiance que l'on doit a un
homme de coeur. La moindre apparence, la moindre velleite de seduction
aupres de leur heritiere me ferait rougir a mes propres yeux, et la
moindre expression, le moindre temoignage d'amour envers elle, serait
tentative de seduction, puisque je sens que je ne l'aime pas. Je n'ai
pas eu cette pensee, l'ombre meme de cette lache pensee, un seul
instant. Je la repousserais avec degout, si elle osait me venir; mais il
y a eu une seconde, un eclair d'egarement des sens, et, puisque dans de
telles occasions (la premiere, a coup sur, dans mon inexperience des
grandes aventures), je ne suis pas maitre de moi, il faut que je m'en
preserve avec la prudence d'un vieillard.
Cependant j'eprouvais encore un malaise dont j'eus peine a trouver la
cause au fond de mon ame. Je me sentais honteux et comme avili d'etre
si froid de raisonnement et si decidement vertueux en presence d'une
passion aussi echevelee que celle dont j'etais l'objet. Il me semblait
que Medora, avec sa folie et son audace, mettait son vaillant pied de
reine sur ma pauvre tete d'esclave craintif, et que mes scrupules me
faisaient un role miserable au prix du sien. Je me confessai obstinement
et je reconnus qu'il n'y avait, dans le sentiment de mon humiliation,
rien de plus que la suggestion d'un sot amour-propre. Que venait donc
faire l'amour-propre entre elle et moi? Pourquoi cet ennemi du juste
et du vrai se glisse-t-il dans les coeurs a leur insu, et quel est ce
besoin egoiste et vulgaire de jouer le premier role dans une partie qui
ne devrait avoir que le ciel pour temoin et pour juge?
J'aime a croire que, quand je ressentirai le veritable amour, je
n'aurai pas a lutter contre cette vanite funeste, que je me sentirai
completement genereux et desarme devant l'objet de mon adoration,
completement naif vis-a-vis de moi-meme. Mais cette simplicite de coeur
et cette loyaute d'intentions, ne les dois-je pas egalem
|