me, et moi, je sais que vous m'aimez; mais vous avez
peur de mes millions, et vous croiriez vous abaisser en faisant la
cour a une femme riche. Eh bien, moi, je suis lasse d'etre le but des
ambitieux et l'effroi des hommes desinteresses. Je me suis dit que, le
jour ou je me sentirais aimee pour moi-meme par un homme delicat, je
l'aimerais aussi et le lui dirais sans detour. Vous etes celui que
j'ai resolu d'aimer et que je choisis. Il y a assez longtemps que vous
resistez a vos sentiments et que vous vous faites souffrir vous-meme en
me tourmentant de votre pretendue antipathie. Finissons-en; dites-moi la
verite, puisque je desire l'entendre, puisque je le veux.
J'espere, mon ami, que vous riez en vous representant la figure ebahie
de votre serviteur. Je me sentis l'air si bete, que j'en fus honteux;
mais il me fut impossible de dire autre chose que ceci:
--En verite!... je jure, sur l'honneur mademoiselle, que je ne me savais
pas amoureux de vous!
--Mais, a present, vous le savez, s'ecria-t-elle; vous le sentez, vous
ne vous en defendez plus? Est-ce la ce que vous voulez dire?
--Non, non! repondis-je avec effroi; je ne dis pas cela.
--Non? vous dites non? Alors je vous hais et vous meprise?
Elle etait si belle, avec ses yeux secs enflammes, ses levres pales et
cette sorte de puissance que donne la douleur ou l'indignation, que je
me sentis redevenir ivre. La beaute a un prestige contre lequel echouent
tous les raisonnements, et, en ce moment, celle de Medora realisait tout
ce que peut rever, tout ce qui peut faire battre _un coeur de jeune
homme_! car enfin, je suit homme, je suis jeune, et j'ai un coeur comme
un autre! Je la contemplais tout eperdu, et il me semblait qu'elle avait
raison d'etre furieuse; que je n'etais qu'un sot, un poltron, un
butor, un petit esprit, un coeur glace. Je ne pouvais lui repondre.
J'entendais, au fond de la galerie, la voix de lady Harriet qui
s'approchait.
--Continuez la promenade sans moi, je vous en supplie, lui dis-je.
Je suis trop trouble, je deviens fou; laissez-moi me remettre, me
recueillir, avant de vous repondre... Tenez, on vient, nous causerons
plus tard...
--Oui, oui, j'entends, dit-elle; vous ferez vos reflexions, et vous nous
quitterez sans me dire seulement adieu!
--De grace, baissez la voix, votre tante... cet homme qui
l'accompagne...
--Que m'importe! s'ecria-t-elle, comme decidee a tenter on effort
supreme pour vaincre ma resistance. Ma tante sait
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