'en souviendra. Mais
voyez donc, il y a un post-scriptum d'Aramis.
-- En effet, dit d'Artagnan.
Et il lut:
"Nous vous cachons le lieu de notre sejour, chers amis,
connaissant votre devouement fraternel, et sachant bien que vous
viendriez mourir avec nous."
-- Sacrebleu! interrompit Porthos avec une explosion de colere qui
fit bondir Mousqueton a l'autre bout de la chambre, sont-ils donc
en danger de mort?
D'Artagnan continua:
"Athos vous legue Raoul, et moi je vous legue une vengeance. Si
vous mettez par bonheur la main sur un certain Mordaunt, dites a
Porthos de l'emmener dans un coin et de lui tordre le cou. Je
n'ose vous en dire davantage dans une lettre.
"ARAMIS."
-- Si ce n'est que cela, dit Porthos, c'est facile a faire.
-- Au contraire, dit d'Artagnan d'un air sombre, c'est impossible.
-- Et pourquoi cela?
-- C'est justement ce M. Mordaunt que nous allons rejoindre a
Boulogne et avec lequel nous passons en Angleterre.
-- Eh bien! si au lieu d'aller rejoindre ce M. Mordaunt, nous
allions rejoindre nos amis? dit Porthos avec un geste capable
d'epouvanter une armee.
-- J'y ai bien pense, dit d'Artagnan; mais la lettre n'a ni date
ni timbre.
-- C'est juste, dit Porthos.
Et il se mit a errer dans la chambre comme un homme egare,
gesticulant et tirant a tout moment son epee au tiers du fourreau.
Quant a d'Artagnan, il restait debout comme un homme consterne, et
la plus profonde affliction se peignait sur son visage.
-- Ah! c'est mal, disait-il; Athos nous insulte; il veut mourir
seul, c'est mal.
Mousqueton, voyant ces deux grands desespoirs, fondait en larmes
dans son coin.
-- Allons, dit d'Artagnan, tout cela ne mene a rien. Partons,
allons embrasser Raoul comme nous avons dit, et peut-etre aura-t-
il recu des nouvelles d'Athos.
-- Tiens, c'est une idee, dit Porthos; en verite, mon cher
d'Artagnan, je ne sais pas comment vous faites, mais vous etes
plein d'idees. Allons embrasser Raoul.
-- Gare a celui qui regarderait mon maitre de travers en ce
moment, dit Mousqueton, je ne donnerais pas un denier de sa peau.
On monta a cheval et l'on partit. En arrivant a la rue Saint-
Denis, les amis trouverent un grand concours de peuple. C'etait
M. de Beaufort qui venait d'arriver du Vendomois et que le
coadjuteur montrait aux Parisiens emerveilles et joyeux.
Avec M. de Beaufort, ils se regardaient desormais comme
invincibles.
Les deux amis prirent par une petite rue pou
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