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le demande, quelle cause servez-vous? Ah! d'Artagnan, voyez a quoi
le miserable Mazarin vous emploie. Savez-vous de quel crime vous
vous etes rendu coupable aujourd'hui? De la prise du roi, de son
ignominie, de sa mort.
-- Oh! oh! dit Porthos, croyez-vous?
-- Vous exagerez, Athos, dit d'Artagnan, nous n'en sommes pas la.
-- Eh, mon Dieu! nous y touchons, au contraire. Pourquoi arrete-t-
on un roi? Quand on veut le respecter comme un maitre, on ne
l'achete pas comme un esclave. Croyez-vous que ce soit pour le
remettre sur le trone que Cromwell l'a paye deux cent mille livres
sterling? Amis, ils le tueront, soyez-en surs, et c'est encore le
moindre crime qu'ils puissent commettre. Mieux vaut decapiter que
souffleter un roi.
-- Je ne vous dis pas non, et c'est possible apres tout, dit
d'Artagnan; mais que nous fait tout cela? Je suis ici, moi, parce
que je suis soldat, parce que je sers mes maitres, c'est-a-dire
ceux qui me payent ma solde. J'ai fait serment d'obeir et j'obeis;
mais vous qui n'avez pas fait de serment, pourquoi etes-vous ici,
et quelle cause y servez-vous?
-- La cause la plus sacree qu'il y ait au monde, dit Athos; celle
du malheur, de la royaute et de la religion. Un ami, une epouse,
une fille, nous ont fait l'honneur de nous appeler a leur aide.
Nous les avons servis selon nos faibles moyens, et Dieu nous
tiendra compte de la volonte a defaut du pouvoir. Vous pouvez
penser d'une autre facon, d'Artagnan, envisager les choses d'une
autre maniere, mon ami; je ne vous en detourne pas, mais je vous
blame.
-- Oh! oh! dit d'Artagnan, et que me fait au bout du compte que
M. Cromwell, qui est Anglais, se revolte contre son roi, qui est
Ecossais? Je suis Francais, moi, toutes ces choses ne me regardent
pas. Pourquoi donc voudriez-vous m'en rendre responsable?
-- Au fait, dit Porthos.
-- Parce que tous les gentilshommes sont freres, parce que vous
etes gentilhomme, parce que les rois de tous les pays sont les
premiers entre les gentilshommes, parce que la plebe aveugle,
ingrate et bete prend toujours plaisir a abaisser ce qui lui est
superieur; et c'est vous, vous, d'Artagnan, l'homme de la vieille
seigneurie, l'homme au beau nom, l'homme a la bonne epee, qui avez
contribue a livrer un roi a des marchands de biere, a des
tailleurs, a des charretiers! Ah! d'Artagnan, comme soldat, peut-
etre avez-vous fait votre devoir, mais comme gentilhomme, vous
etes coupable, je vous le dis.
D'Artagna
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