n machonnait une tige de fleur, ne repondait pas et se
sentait mal a l'aise; car lorsqu'il detournait son regard de celui
d'Athos, il rencontrait celui d'Aramis.
-- Et vous, Porthos, continua le comte comme s'il eut eu pitie de
l'embarras de d'Artagnan; vous, le meilleur coeur, le meilleur
ami, le meilleur soldat que je connaisse; vous que votre ame
faisait digne de naitre sur les degres d'un trone, et qui tot ou
tard serez recompense par un roi intelligent; vous, mon cher
Porthos, vous, gentilhomme par les moeurs, par les gouts et par le
courage, vous etes aussi coupable que d'Artagnan.
Porthos rougit, mais de plaisir plutot que de confusion, et
cependant, baissant la tete comme s'il etait humilie:
-- Oui, oui, dit-il, je crois que vous avez raison, mon cher
comte.
Athos se leva.
-- Allons, dit-il en marchant a d'Artagnan et en lui tendant la
main; allons, ne bougez pas, mon cher fils, car tout ce que je
vous ai dit, je vous l'ai dit sinon avec la voix, du moins avec le
coeur d'un pere. Il m'eut ete plus facile, croyez-moi, de vous
remercier de m'avoir sauve la vie et de ne pas vous toucher un
seul mot de mes sentiments.
-- Sans doute, sans doute, Athos, repondit d'Artagnan en lui
serrant la main a son tour; mais c'est qu'aussi vous avez de
diables de sentiments que tout le monde ne peut avoir. Qui va
s'imaginer qu'un homme raisonnable va quitter sa maison, la
France, son pupille, un jeune homme charmant, car nous l'avons vu
au camp, pour courir ou? Au secours d'une royaute pourrie et
vermoulue qui va crouler un de ces matins comme une vieille
baraque. Le sentiment que vous dites est beau, sans doute, si beau
qu'il est surhumain.
-- Quel qu'il soit, d'Artagnan, repondit Athos sans donner dans le
piege qu'avec son adresse gasconne son ami tendait a son affection
paternelle pour Raoul, quel qu'il soit, vous savez bien au fond du
coeur qu'il est juste; mais j'ai tort de discuter avec mon mettre.
D'Artagnan, je suis votre prisonnier, traitez-moi donc comme tel.
-- Ah! pardieu! dit d'Artagnan, vous savez bien que vous ne le
serez pas longtemps, mon prisonnier.
-- Non, dit Aramis, on nous traitera sans doute comme ceux qui
furent faits a Philip-Haugh.
-- Et comment les a-t-on traites? demanda d'Artagnan.
-- Mais, dit Aramis, on en a pendu une moitie et l'on a fusille
l'autre.
-- Eh bien! moi, dit d'Artagnan, je vous reponds que tant qu'il me
restera une goutte de sang dans les veines, vous ne se
|