mais puisque tu as
eu aujourd'hui un si grand acces de courage que de vouloir essayer
Chouiman, tu auras bien celui de descendre au pas un sentier un peu
raide.--Certainement, lui dis-je, puisque tu crois qu'il n'y a pas de
danger." Et nous nous mimes en route dans un ordre tres-pittoresque. Un
groupe de chasseurs, escorte des limiers et des cors, marchait en tete,
portant le sanglier, qui etait enorme; les cavaliers venaient ensuite,
nous au centre; nous entourions le flanc de la colline d'une ligne noire
d'ou partait de temps en temps un eclair quand le sabot d'un cheval
heurtait le roc. Derriere nous, un autre corps de piqueurs et de chiens
suivait lentement, et les fanfares s'appelaient et se repondaient des
deux extremites de la caravane. Quand nous fumes au plus rapide du
sentier, Jacques dit a un des piqueurs de prendre la bride de mon
cheval, et de le soutenir pour descendre; puis il proposa a Sylvia de
faire une folie. "Une folie? dit-elle; lancer nos chevaux d'ici a la
plaine?--Oui, dit Jacques; je te reponds des jambes de Chouiman si tu ne
le contraries pas.--Allons!" repondit la mauvaise tete; et, sans ecouter
mes reproches et mes cris, ils partirent comme la fondre par une pente
lisse, mais rapide, qui formait le flanc de la colline. Il me passa une
sueur froide par tous les membres, et mon coeur ne reprit le mouvement
que quand je les vis arriver sans accident au bas de la pente. Alors je
m'apercus que les cavaliers qui etaient devant etaient alles plus vite
que mon cheval guide par un pieton, et que ceux qui etaient derriere,
stupefaits sans doute de l'audace de Jacques et de Sylvia, s'etaient
arretes pour les regarder, de maniere que je me trouvais seule sur le
sentier avec l'homme qui tenait ma bride a une assez grande distance des
uns et des autres.
Toutes les histoires de voleurs et de revenants qui m'ont trotte par la
cervelle depuis cinq ou six jours me revinrent a l'esprit, et cet homme
qui marchait aupres de moi commenca a me faire une peur epouvantable.
Je le regardais avec attention et ne reconnaissais en lui aucun des
piqueurs de mon mari. Il me semblait au contraire reconnaitre l'homme
mysterieux que Sylvia avait gratifie le matin d'un si joli coup de
cravache sur les doigts. Cependant je n'avais pas eu le temps de faire
grande attention a son vetement, et de son visage enfonce sous un grand
chapeau de paille je n'avais vu qu'une barbe noire, qui m'avait paru
sentir le brigand d'une lieue. En
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