ont la perte lui etait toujours
presente et la faisait inconsolable; mais madame Neveu gardait un
silence absolu sur les circonstances de sa vie et ne laissait pas meme
soupconner qu'elle etait fort riche, qu'elle possedait en Bourgogne
un domaine seigneurial, qu'elle portait un nom noble, et que sa fille
serait un grand et riche parti pour l'epoux qu'elle lui choisirait. Ce
n'etaient donc pas ces considerations qui avaient amene le jeune medecin
a desirer son union avec Catherine Neveu, quoiqu'il n'eut pas fait
connaitre ses intentions a la mere de cette belle et spirituelle
personne. Celle-ci se sentait tout naivement engagee d'amitie envers
Jules de Guersens, dont elle appreciait les belles qualites morales;
elle n'etait pas eloignee de le regarder comme un frere, en lui
accordant toute confiance et toute affection, mais elle n'avait jamais
songe a en faire un mari, d'autant plus qu'elle eprouvait une repulsion
invincible pour le mariage. Les plaintes continuelles de sa mere a
l'egard d'un epoux qui n'etait pas digne d'elle et le tableau des
miseres conjugales que la malheureuse veuve ne se lassait pas d'etaler
sous les yeux d'une enfant, avaient contribue sans doute, de bonne
heure, a faire naitre dans l'esprit de Catherine une ferme resolution de
ne pas se marier.
--Bonne mere, disait-elle quelquefois a madame Neveu, si vous n'etiez
plus la pour me servir de guide et de compagne ici-bas, j'irais me
mettre sous la garde du bon Dieu dans un couvent; mais, a coup sur, je
ne vous quitterai jamais pour devenir l'esclave d'un mari.
Madame Neveu aurait du empecher peut-etre cette etrange idee de
s'enraciner dans le coeur de Catherine, si elle eut cherche a la
dissuader d'une opinion fausse, qui pouvait influer sur le reste de sa
vie et qui ne tarda pas a devenir la regle de sa conduite; mais la mere
en riait et n'y attachait aucune importance, parce que le moment de
songer a l'etablissement de sa fille a peine nubile lui paraissait
s'eloigner de jour en jour, au lieu de s'approcher, car elle avait
trouve dans Catherine une compagne fidele et presque inseparable,
qu'elle n'eut pas eu le desinteressement de ceder a un mari.
--La mythologie, lui disait encore Catherine, a bien fait les choses en
ne donnant pas de maris aux Muses: elles ont, pour elles toutes, une
sorte de conseiller et de precepteur dans Apollon, qui n'en epouse
aucune. Et moi, j'aurai aussi mon Apollon, c'est Jules de Guersens.
Catherine etait encor
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