point attendre.
Morosini, ayant recu la confidence de la nouvelle passion de son neveu,
approuva ses vues, l'encouragea a chercher dans l'amour d'une si noble
fille un baume celeste pour ses ennuis, et alla trouver la Memmo, avec
laquelle il eut une explication decisive. En voyant combien cet homme
illustre et venerable ajoutait foi a la grandeur d'ame de son fils adoptif,
et combien il desirait que son alliance avec la famille Ezzelin effacat
tout reproche et tout ressentiment, elle eut peine a cacher sa joie.
Jamais elle n'eut pu esperer un parti aussi avantageux pour Argiria.
Argiria fut d'abord epouvantee des offres qui lui furent faites par
l'amiral, epouvantee surtout du trouble et de la joie qu'elle en ressentit
malgre elle. Elle fit toutes les objections que lui suggera l'amour
fraternel, refusa de se prononcer, mais consentit a recevoir les soins
d'Orio.
Dans les commencements, Argiria se montra froide et severe pour Orio. Elle
paraissait ne supporter sa presence que par egard pour sa tante. Cependant
elle ne pouvait s'empecher de nourrir pour ses souffrances et sa douleur
un profond sentiment de compassion. En voyant cet homme si fort se
plaindre chaque jour du poids de sa destinee, et succomber, pour ainsi
dire, sous lui-meme, la soeur d'Ezzelin sentait sa grande ame s'attendrir
et sa force de haine diminuer de jour en jour. Si Orio eut employe avec
elle la seduction et l'audace, elle fut restee insensible et implacable;
mais, en face de sa faiblesse et de son humiliation volontaire, elle se
desarma peu a peu. Bientot l'habitude qu'elle avait prise de compatir a
ses peines se changea en un genereux besoin de le consoler. Sans qu'elle
s'en doutat, la pitie la conduisait a l'amour. Elle se disait pourtant
qu'elle ne pouvait aimer sans crime et sans honte l'homme qu'elle avait
accuse de la mort de son frere, et qu'elle devait tout faire pour etouffer
le nouveau sentiment qui s'elevait en elle. Mais, faible de sa grandeur
meme, elle se laissait detourner de ce qu'elle croyait son devoir par sa
misericorde. En retrouvant chaque jour Orio plus desole et plus repentant
du mal qu'il lui avait fait, elle n'avait pas le courage de lui en
temoigner du ressentiment, et finissait toujours par associer dans sa
pensee le malheur de son frere mort et celui de l'homme qu'elle voyait
condamne a d'eternels regrets. Puis elle se persuada qu'elle n'eprouvait
pour Orio que la pitie qu'on devait a tous les etres souffrants, et qu
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