e devant ce nouvel effort, quand je
descendis a Padoue, desireux de visiter, dans un jardin silencieux,
l'eglise Santa Maria dell' Arena, ou Giotto raconte en fresques
nombreuses l'histoire de la Vierge et du Christ.
Aux cloitres florentins, jadis, combien n'ai-je pas celebre les
primitifs! J'avais pour la societe des hommes une haine timide,
j'enviais la vie retenue des cellules. Meme a Saint-Germain, la
gaucherie de ces ames peintes, leurs gestes simplifies, leurs
physionomies trop precises et trop incertaines satisfaisaient mon ardeur
si seche, si compliquee. Mais la soiree d'Haroue et le Vinci m'ont
transforme: le plus venerable des primitifs a Padoue ne m'inspire qu'une
sorte de pitie complaisante, qui est tout le contraire de l'amour.
Voila bien, sur ces figures, la mefiance delicate que je ressens
moi-meme devant l'univers, mais je n'y devine aucune culture de soi par
soi. S'ils gardent, a l'egard de la vie, une reserve analogue a la
mienne, c'est pour des raisons si differentes! Je les medite, et je
songe a la religion des petites soeurs, qui, malgre mon gout tres vif
pour toutes les formes de la devotion, ne peut guere me satisfaire. Sur
ces physionomies le sentiment, maladif, sterile, met une lueur; mais
aucune clairvoyance, aucun souci de se comprendre et de se developper.
Pauvres saints du Giotto et petites soeurs! Ils s'en tiennent a
s'emouvoir devant des legendes imposees; or, moi, je m'enorgueillis a
cause de fictions que j'anime en souriant et que je renouvelle chaque
soir....
Ces ames naives de Santa Maria dell' Arena, je sens que je les trompe en
paraissant communier avec elles. J'eus parfois le meme scrupule sous mon
cloitre de Saint-Germain, quand j'invoquais les moines qui m'y
precederent. C'est par coquetterie, et grace a des jeux de mots, que je
grossis nos legers points de contact. Dans un siecle hostile et
vulgaire, sous l'oeil des Barbares, des familles eparpillees et presque
detruites se plaisent a resserrer leurs liens. Mais il faut avouer que
voila une parente bien lointaine. Pour un cote de moi qui peut-etre
satisferait le Giotto, combien qui l'etonneraient extremement! Dans sa
chapelle, en meme temps que je baille un peu, ma loyaute est a la gene.
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Trois heures apres, a Venise, j'etudiais les Veronese; leur force me
rafraichissait. Ils m'attiraient, m'elevaient vers eux, mais
m'intimidaient. La encore je me sens un etranger; mes hesitations
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