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lus que les interieures
Enfin, je connus Venise. Je possedais tous mes documents pour degager la
loi de cette cite et m'y conformer. Le long des canaux, sous le soleil
du milieu du jour, je promenais avec maussaderie une dyspepsie que
stimulait encore l'air de la mer. (On est trop dispose a oublier que
Venise, avec sa langueur et ses perpetuelles tasses de cafe, est
legerement malsaine.) Les photographies inevitables des vitrines avaient
fait banales les plus belles images des cloitres et des musees. Seule,
la tristesse de mon restaurant solitaire m'emouvait encore pour la
beaute de la Venise du dehors, tandis que la nuit, descendant d'un ciel
au coloris pali, ennoblissait d'une agonie romanesque l'Adriatique. Et
si ce declin du jour me toucha plus longtemps qu'aucun instant de cette
ville, c'est qu'il est le point de jonction entre ma sensibilite
anemique et la vigueur venitienne.
Des lors, je ne quittai plus mon appartement, ou, sans phrases, un
enfant m'apportait des repas sommaires.
Vetu d'etoffes faciles, dedaigneux de tous soins de toilette, mais
seulement poudre de poudre insecticide, je demeurais le jour et la nuit
parmi mes cigares, etendu sur mon vaste lit.
J'avais enfin divorce avec ma guenille, avec celle qui doit mourir. Ma
chambre etait fraiche et d'aspect amical. Ignorant du bruyant appel des
horloges obstinees, je m'occupai seulement a regarder en moi-meme, que
venaient de remuer tant de beaux spectacles. Je profitais de l'ennui que
je m'etais donne a vivre en proie aux ciceroni, tete nue, parmi les
edifices remarquables.
Mes souvenirs, rapidement deformes par mon instinct, me presenterent une
Venise qui n'existe nulle part. Aux attraits que cette noble cite offre
a tous les passants, je substituai machinalement une beaute plus sure de
me plaire, une beaute selon moi-meme. Ses splendeurs tangibles, je les
poussai jusqu'a l'impalpable beaute des idees, car les formes les plus
parfaites ne sont que des symboles pour ma curiosite d'ideologue.
Et cette cite abstraite, batie pour mon usage personnel, se deroulait
devant mes yeux clos, hors du temps et de l'espace. Je la voyais
necessaire comme une Loi; chaine d'idees dont le premier anneau est
l'idee de Dieu. Cette synthese, dont j'etais l'artisan, me fit paraitre
bien mesquine la Venise bornee ou se rejouissent les artistes et les
touristes.
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Qu'on ne saurait gouter que
Dieu seul, et qu'
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