ait que Clement
disait sur _Doris_ certains mots, lesquels on aurait pu appliquer a
madame d'Houdetot. On fit des cartons a ces endroits, le livre parut, et
tout le monde lut Clement.
Il disait de bonnes choses, et tout ce qui se peut dire de judicieux de
la part d'un homme serieux, instruit de l'antiquite, amateur du gout
solide, mais que le rayon poetique direct n'eclaire pas. Ou se trouvait
alors, est-il vrai de dire, ce rayon, ce sentiment du style poetique,
si l'on excepte Le Brun, qui en avait l'instinct, l'intention, et Andre
Chenier naissant, qui allait le retrouver? Le Brun, d'ailleurs, n'etait
pas etranger a la critique de Clement, son ami, a qui il avait confie sa
traduction, encore inedite, de l'episode d'Aristee, pour etre opposee
a celle qu'en avait donnee Delille. Celui-ci, bon et modeste, profita,
dans les editions suivantes, des critiques de Clement en ce qu'elles lui
paraissaient renfermer de juste, et il rendit sa traduction plus
fidele en bien des points. Ce qu'il n'y a pas ajoute, et ce qui etait
incommunicable, a moins de l'avoir tout d'abord senti, c'est un certain
art et style poetique qui fait que, dans la lutte de poete a poete,
independamment de la fidelite litterale, des beautes du meme ordre
eclatent en regard, et comme un prompt equivalent d'autres beautes
forcement negligees. Delille est elegant, facile, spirituel aux endroits
difficiles, correct en general, et d'une grace flatteuse a l'oreille;
mais la belle peinture de Virgile, les grands traits frequents, cette
majeste de la nature romaine:
... Magna parens frugum, Saturnia tcllus,
Magna vivum;
les vieux Sabins, les Umbriens laboureurs menant les boeufs du Clitumne;
cette antiquite sacree du sujet (_res antiquae laudis et artis_); cette
nouveaute et cette invention perpetuelle de l'expression, ce mouvement
libre, varie, d'une pensee toujours vive et toujours presente, ont
disparu, et ne sont pas meme soupconnes chez le traducteur. On glisse
avec lui sur un sable assez fin, peigne d'hier, le long d'une double
palissade de verdure, dans de douces ornieres toutes tracees. M. de
Chateaubriand a mieux rendu notre idee que nous ne pourrions faire,
quand il dit: "Son chef-d'oeuvre est la traduction des _Georgiques_.
C'est comme si on lisait Racine traduit dans la langue de Louis XV. On
a des tableaux de Raphael merveilleusement copies par Mignard."
J'ajouterai qu'un grand paysage du Poussin, copie par Watteau, serait
encore superieu
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