a Reine-Blanche, a l'extremite de son faubourg.
C'est dans ce sejour qu'il travailla a perfectionner et a enrichir les
editions successives des _Etudes_. Le roman de _Paul et Virginie_ parut
pour la premiere fois en 1788 comme un simple volume de plus a la suite;
mais on en fit, aussitot apres, des editions a part, sans nombre.
Tous les enfants qui naissaient en ces annees se baptisaient Paul et
Virginie, comme precedemment on avait fait a l'envi pour les noms de
Sophie et d'Emile. Bernardin, du fond de son faubourg Saint-Marceau,
devenait le parrain souriant de toute une generation nouvelle. Sa
_Chaumiere indienne_, publiee en 1791, fut introduite egalement dans
les _Etudes_, et, a partir de ce moment, son oeuvre generale peut etre
consideree comme achevee; car les _Harmonies_, qui ont de si belles
pages, ne sont que les _Etudes_ encore et toujours. Bernardin de
Saint-Pierre n'est pas un de ces genies multiples et vigoureux qui se
donnent plusieurs jeunesses et se renouvellent; il y gagne en calme; il
ne nous parait ni moins doux ni moins beau pour cela. Les _Etudes_ donc,
en y comprenant _Paul et Virginie_ et _la Chaumiere_, nous le presentent
tout entier.
Un ouvrage comme _Paul et Virginie_ est un tel bonheur dans la vie d'un
ecrivain, que tous, si grands qu'ils soient, doivent le lui envier, et
que, lui, peut se dispenser de rien envier a personne. Jean-Jacques, le
maitre de Bernardin, et superieur a son disciple par tant de qualites
fecondes et fortes, n'a jamais eu cette rencontre d'une oeuvre si
d'accord avec le talent de l'auteur que la volonte de celui-ci y
disparait, et que le genie facile et partout present s'y fait seulement
sentir, comme Dieu dans la nature, par de continuelles et attachantes
images. Lemontey, en sa dissertation sur le naufrage du _Saint-Geran_,
excellent litterateur, a l'affectation pres, a fort bien juge au fond,
bien que d'un ton de secheresse ingenieuse, ce chef-d'oeuvre tout
savoureux: "M. de Saint-Pierre, dit-il, eut la bonne fortune qu'un
auteur doit le plus envier: il rencontra un sujet constitue de telle
sorte qu'il n'y pouvait ni porter ses defauts, ni abuser de ses talents.
Les parties faibles de cet ecrivain, comme la politique, les sciences
exactes et la dialectique, en sont naturellement exclues; tandis que
la morale, la sensibilite et la magnificence des descriptions s'y
continuent et s'y fortifient l'une par l'autre dans les dimensions d'un
cadre etroit d'ou l'instruction s
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