a page):
Et de ses larges flancs voit sortir a longs flots
Tout un peuple d'abbes, peres d'abbes nouveaux!
_It nigrum campis agmen!_--Voila le vrai Delille causant. Il jouait,
batifolait perpetuellement avec son esprit, _comme un chat avec un
marron_; c'est M. Villemain qui dit cela.]
Delille gagna a ce parti pris d'un exil tout volontaire des sentiments
plus vifs que d'habitude, et le droit d'exhaler une inspiration plus
profonde qu'il n'en avait marque jusqu'alors. L'inspiration directement
religieuse ne fut jamais la sienne; l'inspiration puisee dans la nature
avait ete une de ses pretentions et de ses illusions plutot qu'une
source veritable. Il n'avait pas connu l'amour, point de passion de
coeur, peu d'ardeur de sens, du moins rien de pareil ne s'entrevoit
dans le detail de toutes ses coquetteries et de ses caresses de beau
monde.[39] Enfin, grace aux tourmentes publiques et a l'impression qui en
resta sur son coeur, une inspiration reelle lui vint; il se fit le poete
du passe, des infortunes royales, le poete du malheur et de la pitie.
Cette veine de larmes, en fecondant la seconde partie de ses oeuvres,
donna a sa renommee poetique un caractere serieux et touchant, que salua
avec transport la societe renaissante, et qui couronna dignement sa
vieillesse.
[Note 39: Il faut tout dire: on a pourtant cite de lui un fils
naturel ou adulterin, ne d'une relation toute bourgeoise.]
De Saint-Diez dans les Vosges, patrie de madame Delille, ou il alla
d'abord et ou il acheva la traduction de _l'Eneide_, Delille partit pour
la Suisse. Presque aveugle, il entrevoyait pourtant, et les beautes de
la nature lui arrivaient ca et la gaiement dans un rayon. De pres, il ne
voyait les objets qu'avec sa grande loupe, grains de sable et cailloux.
A Bale, fut-il en effet temoin du bombardement de Huningue et y
apprit-il a decrire le jeu de la bombe:
De son lit embrase, tantot l'affreuse bombe, etc.?
Grave question. On a avance cela dans une note de ses ouvrages, mais
qui n'est pas de lui. Lors du bombardement, il etait deja a Glairesse.
Habitant ce village, il dut a l'aspect de l'ile de Saint-Pierre
d'ajouter dans son poeme de _l'Imagination_ le morceau sur Jean-Jacques.
Ainsi, a chaque pause de son exil, il allait decrivant et ajoutant
quelque piece a ses anciens cadres. Il passa de la Suisse a la petite
cour du duc de Brunswick, ou il travailla a son poeme de _la Pitie_. A
Darmstadt, il avait visite _incognito_ le
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