[Note 45: "Le traducteur, dit-il, ajoute de son chef a la description
de la tempete dont les Troyens sont assaillis en quittant la Sicile:
Son mat seul un instant se montre a nos regards!
Aux regards de qui? A quoi pensait-il donc en faisant ce vers? Avait-il
imite cette tempete de Virgile pour la placer dans un autre ouvrage?...
Aurait-il ensuite replace dans sa traduction cette imitation libre, sans
songer a en retirer ce qu'il y avait mis d'etranger? Il faut bien qu'un
si inconcevable _quiproquo_ ait une cause. Quelle tete anti-virgilienne
que celle qui medite pendant plus de trente ans une traduction de
_l'Eneide_, et qui y laisse subsister des la seconde centaine de vers
une telle marque d'oubli!"]
Racine et Boileau l'avaient a un haut degre, bien que cette qualite,
chez eux, ne soit pas aisement distincte de la pensee meme et se
dissimule sous l'elegance d'une expression d'ordinaire assez voisine de
l'excellente prose. C'est la ce qui a egare leurs successeurs, qui,
en croyant etre de leur ecole en poesie, n'ont pas vu qu'ils ne leur
derobaient pas le vrai secret, et qu'ils n'etaient ou que correctement
prosaiques ou que fadement elegants. Tout ce que Boileau se donnait de
peine et d'artifice pour elever son vers, qui souvent ne renfermait
qu'une simple idee de bon sens, et pour le tenir au-dessus de la prose,
mais dans un degre qui ne choquat pas, est inoui. Un mot bien sonnant,
pris en une acception un peu neuve, une inversion bien entendue, une
quantite de petits secrets qui nous fuient dans ses vers devenus
proverbes, mais qui furent nouveaux une fois et frappants, lui servaient
a composer son style.
De Styx et d'Acheron peindre les noirs torrents,
ne lui paraissait pas du tout la meme chose que s'il avait mis: _Du
Styx, de l'Acheron_; et il sentait juste. En un mot, Boileau suppleait
par une quantite de moyens savants, et depuis assez inapercus, au rare
emploi qu'il faisait et qu'on faisait en son temps, de la metaphore et
de l'image. Son vers voisin de la prose, et qui en etait si distinct
pour Racine et pour lui, ressemble, j'oserai dire, a ces digues de
Hollande qui paraissent au niveau de la mer et qui pourtant n'en sont
pas inondees. Le XVIIIe siecle ne se douta pas de cela. On y reprocha
meme a Boileau des fautes de grammaire qui souvent, chez lui, n'etaient
que des necessites ou des intentions de poesie. Ce qui est vrai a mon
sens, c'est que le genre de style poetique de Boileau et meme de
|