rre, paree des tresors de l'automne, etale une richesse que
l'oeil admire, mais cette admiration n'est pas touchante; elle vient
plus de la reflexion que du sentiment. Au printemps, la campagne presque
nue n'est encore couverte de rien; les bois n'offrent point d'ombre, la
verdure ne fait que poindre, et le coeur est touche a son aspect. En
voyant renaitre ainsi la nature, on se sent ranimer soi-meme; l'image du
plaisir nous environne; ces compagnes de la volupte, ces douces larmes,
toujours pretes a se joindre a tout sentiment delicieux, sont deja sur
le bord de nos paupieres. Mais l'aspect des vendanges a beau etre anime,
vivant, agreable, on le voit toujours d'un oeil sec. Pourquoi cette
difference? C'est qu'au spectacle du printemps l'imagination joint celui
des saisons qui le doivent suivre; a ces tendres bourgeons que l'oeil
apercoit, elle ajoute les fleurs, les fruits, les ombrages, quelquefois
les mysteres qu'ils peuvent couvrir..." Le poete versificateur avait
encore ici puise l'inspiration dans la prose, et, bien qu'avec une
liberte heureuse, il s'etait souvenu de Rousseau[47].
[Note 47: M. Barbier parle, dans son _Examen critique des
Dictionnaires historiques_, d'un ouvrage inedit de Charles Remard,
libraire d'abord, puis bibliothecaire a Fontainebleau: "M. Remard,
dit-il, m'a communique un manuscrit de sa composition, intitule
_Supplement necessaire aux Oeuvres de J. Delille_, etc., dans lequel
il met en evidence les emprunts innombrables qu'a faits ce poete a
une foule d'auteurs qui ont traite avant lui les memes sujets."
L'inventaire, s'il est complet, serait en effet singulierement curieux a
connaitre et guiderait utilement le lecteur dans ce veritable magasin de
poesie.]
Delille ne rencontra qu'une fois (en 1803) Bonaparte, qui, dit-on, lui
fit des avances et fut repousse par un mot piquant. Ses biographes,
sous la Restauration, ont assez amplifie ce refus[48]. Ce qu'il y a de
certain, c'est que Delille, entoure d'un monde plutot royaliste, resta
en dehors de la faveur imperiale. Sa femme, jalouse de l'ascendant
qu'elle avait sur lui, ne contribuait pas peu a le tenir soigneusement a
l'ecart de la puissance nouvelle. Delille etait faible et avait besoin
d'etre conduit. Cette influence domestique qui s'exercait sur lui sans
relache, et qui parfois rabaissait son brillant talent a un usage
presque mercenaire, otait quelque dignite a sa vieillesse. Il recitait
des vers au Lycee pour dix louis: on l'avait
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