s jardins du prince dessines
et calques dans le temps, livre en main, sur le poeme. A Goettingue, il
avait connu l'illustre Heyne, qui lui en fit les honneurs, et qui meme
le consulta, dit-on, sur un passage de l'Eneide. Vous figurez-vous bien
le tete-a-tete de ces deux hommes? tout le clinquant de l'antiquite et
tout son or pur. A Hambourg, il rencontra Rivarol, plus a sa taille,
et se reconcilia avec lui. Ils se dirent des choses plaisantes; ils
echangerent leurs tabatieres;[40] ce fut un assaut de grace; du coup, un
bourgeois, la present, eut presque de l'esprit. Il s'y depensa plus
de bons mots en un quart d'heure, que durant des siecles de la Ligue
hanseatique.
[Note 40: Diomede et Glaucus, _Iliade_, VI.]
C'est un trait bien honorable et distinctif du talent et du caractere de
Delille, d'avoir su, sans y prendre garde, lasser la malice et desarmer
l'agression. Le Brun, parlant de Freron dans _la Metempsycose_, avait
dit:
Mais il prona l'ingenieux Delille,
Qui, sous le fard se donnant pour Virgile,
Si bien lima son vers mince et poli,
Que le grand homme est devenu joli.
Ainsi masquant de graces fantastiques
Le noble auteur des douces _Georgiques_,
Par trop d'esprit il n'eut qu'un faux succes...
Oh! que Le Franc a bien fui cet exces!
Dans une epigramme de date posterieure, Le Brun semble s'adoucir, et il
convient que, nonobstant Marmontel, Saint-Lambert et Lemierre,
L'adroit et gentil emailleur
Qui brillanta _les Georgiques_,
Des poetes academiques
Delille est encor le meilleur.
Enfin dans d'autres epigrammes suivantes, il se montre tout a fait
apaise, et le nom de Delille ne revient plus qu'en eloges. Ainsi
Marie-Joseph Chenier, qui, dans une petite epitre au poete emigre
rentrant:
Marchand de vers, jadis poete,
Abbe, valet, vieille coquette,
Vous arrivez, Paris accourt, etc.;
avait ete satirique des plus apres, n'hesita pas a lui rendre bientot
dans son _Tableau de la Litterature_, des hommages consciencieux et
reflechis.
Pendant que Delille courait l'Allemagne, et de la passait en Angleterre,
on se demandait en France de ses nouvelles avec un interet qu'attestent
toutes les feuilles du temps. Le premier reveil de l'attention
litteraire s'occupait a son sujet. Lalande (decembre 96) donnait dans
_la Decade_ une espece de petit bulletin de ses voyages et de ses poemes
entames ou termines. On traduisait du _Mercure allemand_ de Wieland, un
article de Bottiger su
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