fume." Vaucluse, dit-on, est un pays brule du
soleil et ou il faut gravir longtemps avant de reconnaitre quelques-uns
des traits immortels. L'eglise et l'allee des Pamplemousses ne valent
pas, assure un recent voyageur, la description qu'en a donnee notre
poete. Ascree, ce plus antique des sejours consacres et harmonieux,
Ascree pres de l'Helicon, n'etait qu'un pauvre bourg, nous dit Hesiode,
d'un mauvais hiver et d'un ete pire encore [54].
[Note 54: Il faut lire la spirituelle lettre de M. de Guilleragues
a Racine sur son desappointement a la vue de cette Grece si peu faite
comme on se le figurait sous Louis XIV.]
Bernardin, qui ne cherchait pas seulement des lieux reves d'avance et
embellis, mais qui voulait des hommes heureux et sages, alla donc de
mecomptes en mecomptes. Il est certain que son caractere en souffrit
et qu'une aigreur desormais incurable se glissa au revers de cette
imagination tendre, a travers cette sensibilite charmante. Bernardin,
cet ecrivain si aimant, ce bienfaisant initiateur de toutes les jeunes
ames a l'intelligence de la nature, ce pere de Virginie et de Paul, si
beni dans ses enfants, etait-il donc un homme dur, tracassier, comme
l'ont dit, non pas seulement des libellistes, mais des temoins honnetes
et graves; comme le disait Andrieux, par exemple, en forcant sa faible
voix: "C'etait un homme _dur, mechant?_" Avait-il en effet contracte,
dans le cours d'une vie dependante et genee, des habitudes de
sollicitation peu dignes? Avait-il concu dans ses querelles avec les
savants, et sous pretexte de defendre Dieu contre les athees, des haines
violentes qui s'exhalaient en toute circonstance [55]? etait-il de peu
d'esprit, a part son talent, et, comme il est dit dans d'illustres
Memoires ou chaque trait porte, d'un caractere encore au-dessous de son
esprit? Cela serait triste a penser; un tel desaccord entre le caractere
et le talent, entre la vie pratique et les oeuvres, concevable apres
tout dans des hommes de genie plus ou moins ironiques ou egoistes, ne se
peut admettre aisement chez celui dont le talent a pour inspiration et
pour devise principale l'amour des hommes, la misericorde envers les
malheureux, toutes les vertus du coeur et de la famille. M. Hugo, dans
sa belle piece de _la Cloche_, a donne de ces desaccords une explication
poetique qui s'etend a beaucoup de cas, mais qui ne satisfait point
encore pour Bernardin de Saint-Pierre, dont le talent a d'autres effets
que ceux d'un t
|